par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

Rocher de Palmer, jeudi 14 janvier 2021.

Alors que l’horizon culturel reste bouché, certains continuent à construire, courageux et volontaires. Ainsi quand j’ai su qu’une résidence se déroulait au Rocher de Palmer, j’ai sauté sur l’occasion pour aller voir cette lueur d’espoir au milieu de ce sombre hiver. Je suis donc parti rejoindre la chanteuse Flora Estel, le pianiste Fabrice Camélio,

le guitariste Eddie Dhaini, le contrebassiste Aurélien Gody et le batteur Thierry Oudin au Salon de Musique. Première émotion en entrant dans ce grand paquebot qu’est le Rocher, l’impression de violer la loi, de pénétrer dans une cité interdite. Les souvenirs qui remontent quand autrefois on y écoutait des concerts, qu’on y buvait un – ou plusieurs – verre, qu’on était heureux et qu’on ne le savait pas assez.

Si vous avez reconnu les musiciens, je suis donc venu avec Philippe Marzat pour voir travailler le Flora Estel Swingtet. Et non ! Fabrice et Flora m’expliquent qu’il s’agit d’un autre projet, d’un autre répertoire, des compositions originales différentes des standards de swing avec lesquels ils font danser tant de monde. Et donc pour ne pas tromper leur public, le groupe s’appelle « Madame ». Pourquoi ? Une idée comme ça.

Le groupe est là pour la semaine dans les conditions idéales habituelles ici au Rocher. Beau son, belle lumière, bel accueil, un joyau cet endroit. Ils ont une quinzaine de nouvelles compos à travailler, les fruits de plusieurs années, complétés et muris « grâce » au premier confinement. Ce repos forcé a ainsi permis chez beaucoup de se remettre en question, de travailler sur l’avenir, moins pris par la routine ou le tourbillon des concerts. La période estivale avec sa respiration leur a permis de tester ces nouveautés, ils faisaient partie du collectif « Concert au Jardin » qui a pu jouer régulièrement chez l’habitant, en plein air, dans des granges, des maisons… Et ça a plu, alors au travail ! Madame monte donc un spectacle de dix-huit titres, des compositions de Fabrice et deux ou trois standards dont « Gravy Waltz » dont nous connaissons tous la version française chantée par Claude Nougaro « Les mains d’une femme dans la farine » qui au passage, si elle sortait maintenant, provoquerait certainement une levée de boucliers de certains et surtout de certaines… Autres temps.

Pour la venue d’Action Jazz, Madame a eu la gentillesse de nous préparer un mini concert de sept titres originaux. Notre photographe étant sur scène pour faire son travail nous serons donc seulement deux à écouter depuis la salle, une amie des musiciens étant présente. Un vrai concert de jazz plaisante t-on, plus de monde sur scène que dans le public… Et la magie va opérer, pour nous l’émotion arrivant très vite ; un concert, là devant nous avec des vrais musiciens, pas un écran, la réalité, le son qui vous enveloppe sur ce premier blues, la grâce de Flora pourtant en tenue de travail décontractée. Nos quatre mains qui applaudissent résonnant dans le vide et là une réaction bouleversante des musiciens qui n’en avaient pas entendu depuis des lustres. Ils sont touchés, ça leur manque tant ! Ils nous diront que notre simple présence a modifié la façon dont ils jouaient entre eux depuis trois jours. Ils venaient de jouer pour nous, la musique tournée vers nous, laissant de côté les aspects techniques du travail de préparation. Flora me dira « On a fait peut-être plus de pains mais on a mieux joué » et elle enchaîne « Cette semaine on faisait la cuisine, aujourd’hui on vous a servi le plat ». Magnifique.

Mais alors qu’ont-ils joué ? Ce type de jazz chanté intemporel, qui swingue, qui groove, avec souvent des accents ellingtoniens comme dans le superbe « Hide Away ». Une douceur de son générale avec le trio piano, guitare, contrebasse, la batterie mettant du nerf à l’ensemble, Flora nous régalant de sa voix et de sa présence sur scène. Du vrai jazz, ça scatte, ça improvise, ça dialogue, ça vit. Flora chante en anglais, c’est elle qui écrit les textes, mais aussi en français comme sur ce jazz à trois temps dans l’esprit d’« Indifférence » de Tony Murena. On termine par une très jolie ballade composée par Aurélien Gody. Un disque est prévu ou peut-être un autre support plus original. Il sera enregistré en avril à la Tannerie d’Agen où Fabrice a repéré un beau piano à queue, pour une sortie à l’automne.

Merci les amis de votre accueil, j’ai presque honte d’avoir été ainsi privilégié, que ces quelques lignes et ces photos aient pu faire partager ce moment rare.

Vivement l’été, vivement l’automne, vivement la vie !

 

https://www.floraestel.fr/