par Philippe Desmond

Le Rocher de palmer, mercredi 13 avril 2022.

Au Conservatoire on apprend la musique et surtout on apprend à la jouer. La classe de « musiques actuelles » on va dire jazz pour faire simple, n’échappe pas à la règle. On y joue en solo, en petite formation et en big band ! Cette dernière formation emblématique d’une certaine période du jazz jusqu’aux années 50 reste tout de même un passage obligé pour tout musicien de jazz ; jouer « en pupitre ». Si le big band se cantonne pour certains aux orchestres de Count Basie, Duke Ellington, Benny Goodman ou encore Glenn Miller, il a su évoluer et se moderniser. Un de ces dépoussiéreurs est Gil Evans. Vers ses 25 ans Maria Schneider, dont le répertoire est à l’honneur ce soir, va devenir son assistante après avoir travaillé avec Mel Lewis. Elle va s’appuyer sur ces collaborations pour développer son propre style, loin des formations classiques des années 40.

Pourtant le concert commence de façon assez traditionnelle avec « Lately », un swing somme toute assez classique tout comme « Wyrgly » dont pourtant la rythmique et la structure s’avèrent plus complexes. Jolie ballade ensuite avec « My Lament » et ainsi je me surprends à m’étonner de ce choix de répertoire moins osé que celui de Thad Jones et Mel Lewis en 2018, voire de celui décoiffant de King Crimson en 2015, les deux sous la baguette de Julien Dubois.

Mais le directeur actuel de l’orchestre Mathieu Tarot ne fait que nous préparer habilement à la suite, avec d’abord « Bird Count » , un blues mingusien puis un changement musical radical. La contrebasse laisse la place à la basse électrique, le rythme se fait plus présent et l’univers plus sombre et profond. « Tork’s Cafe » un blues bien gras pour enchaîner sur un extraordinaire « Don’t be evil » avec surprise un accordéon, instrument adoré de la compositrice. Rythmique obsédante, lancinante, montée d’énergie – je pense même à Magma – , les cuivres jouent en écho, les harmonies se compliquent jusqu’à une apparente dissonance. « Data Lords » nous entraîne encore davantage vers les épopées du rock progressif, on pense à King Crimson – tiens les revoilà – les cuivres discutent, se provoquent, se répondent, les chorus flirtent avec le free. Sur le dernier titre « Dance you monster to my soft song » c’est un combat de trompettes qui nous est offert arbitré par une batterie très engagée. Merci Mathieu Tarot d’avoir pris le risque de nous entraîner vers ce monde musical que personnellement je connaissais à peine.

Et bravo aux jeunes musiciens qui ont dû travailler beaucoup pour nous proposer ce concert parfait en tout point. Une heure trente par semaine de répétition depuis septembre me dira Mathieu Tarot, plus le travail personnel bien sûr. A noter l’ouverture du big band à des musiciens pros qui veulent y travailler ce domaine, comme le trompettiste Thibaud Bonté venu « travailler en pupitre ». Et un avantage pour les jeunes, me confie Mathieu Tarot, jouer avec des musiciens moins formatés qu’eux et ainsi échanger des expériences. Cela permet en plus à certains de mettre le pied dans le métier avec ces ainés pour des concerts ou des remplacements.

J’ai pris le parti de ne distinguer dans cet article aucun de ces élèves du Conservatoire, même si certains ne nous sont pas inconnus à Action jazz ayant notamment participé au tremplin. Ils sont tous méritants et déjà d’un niveau professionnel évident. La jeunesse arrive sur scène il faudrait maintenant qu’elle arrive dans les salles, qu’elle ose ouvrir ses oreilles au delà du mainstream actuel…