Chroniques Marciennes 5 : Annie Robert, Photos Thierry Dubuc
Broken Land mais bien vivante…
Chapiteau de Marciac, 3 Aout 2018
Parfois les musiciens semblent perdus sur la grande scène du chapiteau, petits points égarés dans la vaste plaine. Mais là, pas de soucis, ils sont treize : un néo big-band comme on en fait peu avec sept soufflants, deux batteries/percus, deux claviers, une basse, une guitare… En ces temps de restrictions budgétaires culturelles et autres, la tendance est plutôt aux petites formations moins coûteuses. Mais ceux là n’en ont cure, ils ont des choses à signifier, à écrire, et il leur faut la puissance pour le faire.
Le groupe sort son 3ème opus intitulé Broken Land et le fait entendre ce soir dans un discours profond.
Vêtus de noirs, siglés comme des gardiens de nuit, ils sont ici pour interpeller musicalement bien sûr sur les questions environnementales et climatiques. La survie est au programme et dans la chaleur de fournaise de cet été, voilà qui résonne fort à nos oreilles. Sous la houlette de David Haudrechy (au sax) qui assure la direction, et la composition d’Initiative H, ils vont déployer un jazz fusionnel transgressif mêlé de rock, impressionnant, captivant, une symphonie multiple accompagnée d’une performance vidéo onirique en noir et blanc mêlant super 8 et numérique et qui n’est pas juste là pour faire joli ou chébran. Gouttes d’eau, vents, marées et tremblements d’arbres. Souffles, vagues et villes en ombres grises.
C’est une musique puissante, de célébration ou d’affolement, de grincements et de ruptures mais solidement plantée dans l’harmonie permettant au public d’adhérer rapidement, de sentir sous ses doigts cette terre brisée, envahie par l’eau ou desséchée de sel, réduite, malmenée mais debout. Elle alerte comme un phare dans la brume, une sirène d’urgence, mais aussi pour exalter le lien physique avec la nature et parler d’un monde où l’homme a pris le pas et l’humain perdu sa place.
Quel tourbillon, entre solos furieux, harmonies douces et fortes auquel l’électronique mêle son désespoir grinçant, sa perturbation atmosphérique et surtout quelle qualité dans la composition, la conception des morceaux ! Une écriture véritable en forme de suite, une symphonie pastorale qu’aurait pu créer un Beethoven contemporain.
La masse sonore est certes impressionnante mais la qualité individuelle des musiciens également. Ils sont tous sans faille, l’élite de la nouvelle génération quadra de Toulouse ( seul regret pas une fille à l’horizon..)
On aurait pu craindre que les fortes consonances des instrus ne les fassent se chevaucher, s’annihiler façon bouillie, ou que pour faire audible, on fasse simple dans la structure ou dans les relances. Il n’est en rien.
Par doublons, triangulations, oppositions et passerelles, chacun trace sa piste et son expression. Chacun et tous ensemble pour une cohérence claire. Des mouvements entiers faits de superpositions empruntent à la composition classique avec des flambées de rock et un groove qui affleure mais il y a la place pour des solos courts et brillants, pour des questions réponses à plusieurs. Huit morceaux se succèdent sans qu’on se lasse.
La salle prise de plein fouet, stupéfaite d’abord, finit debout, enthousiaste et vient se masser devant, juste au pied de la scène pour un rappel magnifique qui finira en chant polyphonique comme une berceuse.
Pas besoin d’aller chercher bien loin, dans l’exotisme, le tribal ou l’incongru pour trouver l’innovation et l’intelligence. Elles sont tout prêt dans le creuset toulousain bien vives et bien actives.
Et même si les cris, le talent d’Initiative H n’arrivent à atteindre tous les bétonneurs de plaines, les rase-montagne, les goinfres d’eau, les mangeurs d’ivoire et de coraux, il nous restera leur musique. Et quelle musique…
David Haudrechy ( direction, composition,Sax) Ferdinand Doumerc ( Sax, flûte) Gael Pautric ( clarinette, sax) Nicolas Gardel ( trompette) Cyril Latour ( trompette) Olivier Sabatier ( trombone) Lionel Segui ( trombone) Amaury Faye ( Rhodes) Olivier Cussac ( synthé) Florent Hortal ( guitare) Patrick Celma ( basse) Pierre Pollet ( batterie) Florent Tisseyre ( percus) Romain Quartier ( VJ)