Chroniques Marciennes 4 : Annie Robert

Astrada de Marciac 1° Aout  2018
Chapiteau

 
Soir de contrastes

La fraîche salle de l’Astrada accueille ce soir le quartet de Sarah Murcia, entendue au côté de Louis Sclavis il y a peu, et dont la qualité du jeu expressif et touchant m’a fait dresser l’oreille. Le projet personnel qu’elle présente ce soir s’appelle mystérieusement Caroline. Mais de la ronde douceur supposée de ce prénom point de bribes. C’est dans un monde plutôt post moderne, drapé de fracas, de pavés luisants qu’elle nous convie, un monde semé d’embûches, de rêves mutants, de fer et de béton. Un parcours urbain sans la mélancolie de Modiano pour adoucir les angles.
La contrebasse va être tout le long du set le trait d’union, la corde raide sur laquelle le quartet va s’ancrer à travers des motifs répétés, et des boucles variées. La batterie de Frank Vaillant est augmentée de cloches, sonnettes, tambourins, blocks et autres objets tintants et renforce encore le côté aigu, parfois acide et cette impression de mécanique à l’œuvre. Gilles Coronado à la guitare déploie un jeu rock dans les aigus, rythmé et amplifié, soutenant le(s) saxophone(s) d’Olivier Py, tantôt  feulant  tantôt solaire dont on remarque le son particulièrement beau.
La voix de Sarah Murcia, son passage aux claviers également, les changements de tempos, ancrent  le groupe dans un  discours âpre, engagé et souvent troublant. Il s’y glisse des oasis de repos, des bancs verts pour se délasser les jambes de la lourdeur de l’urgence mais l’ensemble reste dense, vidé de rêves simples et débordant de désirs inassouvis.
Dire que c’est un univers que j’affectionne, serait excessif. Il n’est ni facile ni confortable et intellectuellement escarpé. Mais il a le mérite d’exister, d’être vivant même s’il paraît parfois sec, sauvage voire douloureux. C’est un univers d’engrenages, d’excès, de rumeurs de ville, d’errance au milieu de la foule,  très travaillé, très écrit, (ils jouent d’ailleurs avec les partitions sous les yeux..) dont on ressort du moins interrogé à défaut d’être comblé. Et c’est un vrai mérite.

Changement de lieu (le grand chapiteau et son  souffle de fournaise) et changement de style…
Gregory Porter et son quintet sont à la manœuvre.


C’est son projet intitulé «Nat King Cole and me» qu’il nous présente. Nat King Cole fut un des grands crooners blacks, un homme discret et digne, dont la voix de velours et le côté sucré des textes cachaient la véritable douleur de sa communauté. Grégory Porter dit avoir puisé sa force et son inspiration dans ses disques. Il va tout au long du concert lui rendre un délicat hommage à travers des standards aussi célèbres que Mona Lisa, (beau et simple duo voix piano) Nature Boy, Smile et autres Love mais aussi à travers ses propres compositions tirées de la comédie musicale qu’il a écrite à son propos.
Grégory Porter on le sait, est en passe de devenir une voix de légende aussi célèbre et reconnaissable que Frank Sinatra pour le velours, ou Marvin Gaye pour le phrasé et l’énergie en leurs temps.
Il faut dire que le bonhomme est sacrément imposant, pas seulement par sa stature de colosse mais aussi par l’ampleur de sa voix de baryton colorée, le charme enrobant de son chant soul, son côté doudou sucre d’orge pour l’âme. On ne l’imagine pas en fée Clochette mais il en a sûrement le pouvoir guérisseur. Comment ne pas admirer à l’évidence la chaleur, l’engagement mais aussi la simplicité avec laquelle il traite les morceaux ? Pas de fioritures inutiles, pas de cabotinage, pas de ficelles de baroudeurs. Le chant, le chant seul. La voix, la voix seule porteuse de plaisir et de complicité.


Autour de lui, Chip Crawford au piano,  Ondrej Pivec à l’orgue hammond, Jahmal Nichols à la contrebasse, Emmanuel Harrold à la batterie assurent une orchestration délicate,  au cordeau, classique certes mais efficace

et ronde tandis que Tivon Pennicot au saxophone  apporte une touche plus moderne, plus funky dans ses impros. Le chapiteau enfle de doigts claqués, la cathédrale gospel de Marciac communie joyeusement et on danse dans les allées latérales. Bien sûr, c’est d’un classicisme consommé, pas de prises de risques, peu de scat ( ce n’est pas le registre ) pas d’inventions intempestives. Nat king Cole est respecté à la lettre et dans l’esprit.
Il est tout de même resté dans ma tête l’incroyable revisite faite par Hugh Coltman l’an  dernier sur le même registre où l’émotion était si palpable, et qui avait réussi à enlever comme une peau, à déchirer un voile et à présenter ces mêmes chansons réveillées à nues. Une autre vision, une autre entrée.
Ce soir, l’hommage de Grégory Porter  n’a rien de révolutionnaire, on est en terrain connu, cela n’égratigne pas les oreilles, ne fatigue pas la compréhension.  Mais c’est juste chouette à écouter et incroyablement réconfortant . La voix suffit donc au bonheur…. Et Grégory Porter sait bien réparer les vivants.  Pas fée Clochette mais presque..