Emile Parisien Quartet  « Let Them Cook »

Le Rocher de Palmer le 23 janvier 2025
Chronique de Martine Omiécinski, photos David Bert.

Emile Parisien : saxophone soprano, compositions / Julien Touery : piano, composition / Yvan Gelugne : contrebasse, composition / Julien Loutelier : batterie, compositions

Après son fantastique concert avec « Les Egarés » (Vincent Peirani, Vincent Segal, Ballaké Sissoko) fin novembre dernier, Emile Parisien revient au Rocher de Palmer avec son quartet et son dernier album « Let Them Cook ».
Emile fête cette année les 20 ans de son quartet (et oui déjà !) : Julien Touery le pianiste est un compagnon de route depuis le collège jazz de Marciac et Yvan Gelugne depuis le conservatoire de Toulouse. Julien Loutelier remplace le batteur d’origine, il était déjà sur le précédent album en 2018 : « Double Screening ».

« Let Them Cook » est une nouvelle « cuisine » (la plupart des titres faisant référence à des mets ou des breuvages) inventive à souhait où chaque morceau raconte une histoire avec toujours cette liberté de ton, cette espièglerie et surtout cette maestria dont Emile et ses compères nous comblent depuis plus de 20 ans. L’autre élément « nouvelle cuisine » est l’apparition de l’électronique qu’Emile n’avait pas encore abordé sur ses projets personnels.

« Pralin », une composition d’Emile démarre le concert comme une mise en bouche : Julien Touery à l’entame, debout au piano, pigmente son jeu de sonorités issues des cordes tirées/frottées de son instrument, Julien Loutelier agrémente son drumming de grelots et de variations multiples, Emile réveille nos papilles de ses délicieuses mesures au soprano, quant à Yvan Gelugne, contrebasse à l’archet révèle toutes les saveurs. C’est à la fois minimaliste et voluptueux.

« Nano Fromage » de Julien Loutelier suit : rythmique serrée, itérative sur laquelle Emile et tout son corps développent avec lyrisme des circonvolutions savantes dont lui seul a le secret, le rythme s’emballe, le piano s’empare vivement du solo, la contrebasse assure la profondeur, la batterie navigue brillamment entre souplesse, rigueur et inventivité. Emile vrille les notes improvisant ses envolées sur un groove et un plaisir collectifs magnifiques. Le public ne s’y trompe pas !

« Tik-Tik » d’Emile : La « cuisine moléculaire » surgit par un « tik-tik » électronique en boucle, le piano reste longuement sur la répétition d’1 note, la basse scande aussi la mesure répétée, la batterie jongle avec balais et baguette, Emile ondule au milieu de ce cadre itératif. Puis Julien Touery réussit un cocktail inédit récurrence/poésie captivant, Emile lance des notes stratosphériques d’une liberté et d’un non conformisme réjouissants, Emile ne fait pas de la musique, il est une incarnation de la musique. Le crescendo en boucle s’avive jusqu’à la transe pour finir en douceur. Le public est ravi.

« Pistache Cowboy » de Julien Loutelier, qui, aidé de notes électroniques, entame de façon lente et sobre, la contrebasse vise aussi le minimalisme, le soprano avec effets et le piano sont plus diserts, les « couplets » sont entrecoupés de silences/pauses. C’est assez cinématographique et peut faire penser à la progression déhanchée du cowboy……vers le tas de pistaches ? Un coup de folie collective embrase l’atmosphère avec énergie et imagination…Encore un morceau bluffant !

« Wine Time » de Julien Touery : Après un démarrage collectif tonitruant s’installe un fécond dialogue soprano/piano ce dernier groove avec virtuosité. Emile manifestement heureux passe près du piano, il le tapote en signe de connivence avec Julien. Ce « WineTime » est gouleyant et généreux, il enivre le public.

« V.E. 1999 » d’Yvan Gelugne : Comme l’annonce Emile, le thème est l’espace, les étoiles où les 4 nous envoient illico aidés par les effets et bruitages des synthés et autres machines électro. Le rythme est serré, le saxo part en volutes éthérées, la rythmique souveraine accélère le mouvement, Emile décolle vers les étoiles en manipulant les boutons de la fusée : céleste !

« Coconut Race » composition d’Emile : Pour cette course dans les cocotiers, le trio de base démarre avec fantaisie et souffle fertile sous l’œil amusé d’Emile, le piano plus libre que jamais nous emporte avec ses notes folles, déconstruisant et reconstruisant les harmonies, batterie et contrebasse en support indéfectible. Emile se jette frénétiquement dans la course pour nous livrer un solo ébouriffant avec génie, ses acolytes (et notamment le batteur) ne se laissent pas distancer vers le final époustouflant que le public ovationne.

« Chocolat-Citron » : Le rappel se fait sur cet ancien morceau du quartet (ayant eu d’autres titres sur des albums précédents comme me le confiera Emile après le spectacle). Entamé en ondulations dansantes, groovy, coloré, le morceau devient déstructuré, haché, mais toujours joyeux, des bribes familières frôlent nos oreilles. Emile vibrionne accompagné de pas de charleston (ou presque), Yvan ancre dans les graves à l’archet, Julien T force aussi les graves, Julien L. s’empare de bruitages divers, puis Emile avec douceur et envoûtement, effets à l’appui, (A ce sujet : la pointe d’électronique est bien dosée, elle ne brouille pas l’écoute ni la vision sur scène car rien de plus agaçant que de voir des musiciens hacher ou interrompre leur jeu pour bidouiller sans arrêt boutons ou pédales) slalome magistralement avec eux dans cette excellente « cuisine » entre partition et improvisation.

Bref un concert captivant plein de générosité, d’inventivité et de bonne humeur. Merci à Emile Parisien et son quartet.