Charley Rose trio
Astrada de Marciac 28 juillet 2022, 15h
par Annie Robert, photos Thierry Dubuc (Live Performance) . Photo de une : Sylvain Gripoix
Il y a un petit bruit qui court, le Charley Rose trio serait un groupe à surveiller de près, à pister , à tenir au coin de l’œil. Un renouvellement montant du jazz contemporain moderne. Une jeune garde pleine d’idées. Ah, ah… ça intrigue.
L’Astrada nous offre cette après midi l’occasion de constater par nous même et de humer cet air du temps rafraichi.
Une atmosphère rose et bleue nous accueille à l’image de l’éclairage de la scène. Le son bien rond, bien modulé du saxophone de Charley Rose s’impose d’emblée, un son charmeur mais avec des à-côtés sonores qui cherchent les limites, en douceur. Le morceau ( « Arrête le temps ») sort de sa coquille, se déploie et s’élance, le piano coloré d‘Enzo Carniel et la batterie remarquable d’Ariel Tessier soutiennent avec brio le tempo. Les dissonances se faufilent volontairement, elles rompent avec pertinence le propos, rendant l’écoute attentive.
Ce trio sans basse ( elle sera prise en charge par les trois instrumentistes alternativement..) s’avère particulièrement inventif, on devine une architecture expressionniste et libre.
Avec un départ batterie solo, à cœur battant, à peau tendue et bois sec, le morceau suivant nous fait rentrer dans ce qui constitue le point focal du groupe, une destructuration alerte.
La stimulation intellectuelle est constante, intrigante. Le piano est un mélange d’accords savants et de contrepoints groove, sans excès, pas prétentieux.( un peu plus de presence affirmée peut être? ). Autre point intéressant: l’utilisation des silences et des ruptures, des entre notes et des jeux à deux..
Les deux morceaux suivants sont des exercices de composition et de recherche assez facétieux, pas rébarbatifs pour un sou. Slaps à la langue, boucles électroniques ou réverbs se font jour avec des superpositions d’harmonies simples dans lesquelles le sax se confie, le piano roule en filets d’eau et déchirement d’épine pour finir dans un apaisement rond et heureux. C’est une écriture poétique que l’on découvre, parfois un peu fêlée qui s’avère touchante. Peu commune dans les groupes actuels.
Dans le morceau suivant, inspiré d’un Tango, le groove submerge Buenos Aires qui en perdrait ses talonnettes et sa jupe fendue d’étonnement.
Jeu de voix, souffle dans une bouteille vide, rythmique reprise par la batterie, campanes au piano, le thème s’enroule comme des serpentins envahissants. Il se répand, s’enfle avant de rentrer dans son antre et d’en ressurgir comme une murène. C’est à la fois habile et nécessaire.
Charley Rose trio se dévoile comme un groupe en recherche et mature en même temps. Un jazz en mouvement basé sur une belle connaissance des instruments et un sens aigu de la composition .
Le morceau qui suit « Big Dan » est un morceau dédié à une personnalité double, triple, hors normes avec une schizophrénie musicale dingue, des rebondissements et pleins de sorties de route.
Avec « Moral à zéro » l’électronique prend le dessus, sature l’espace sonore sans y apporter toujours le plus souhaité ( du moins à mon goût.) Une épuration resserrée pourrait être bienvenue . Heureusement la mélodie reprend le dessus faisant voler en éclat le mur des sons.
Tous les morceaux sont porteurs de nouveautés, ils pêchent quelques fois ( mais je chipote un peu) par des démonstrations excessives, des essais un peu longs. Mais l’ensemble est novateur et précis, présage d’un avenir certain.
C’est en tous cas une musique vivante, créative, expressive en diable, trois beaux instrumentistes reliés par un complicité patente. Ils savent éveiller l’écoute, la bousculer et la bonifier.
Jazz migration les soutient et les entoure. Encore une fois c’est un bon choix.