Astrada de Marciac : 1° Aout 2021

Texte: Annie Robert

Ce soir, devant une salle comble, c’est le trompettiste Avishai Cohen (à ne pas confondre avec le contrebassiste du même nom), musicien assez fascinant et charismatique et ses quatre musiciens qui officient.
Le projet Big Vicious est très particulier : il rassemble des musiciens expérimentés qui sont aussi des amis, un vrai collectif capable de créer une musique à part , une musique de recherche et d’expériences multiples.
De fait, le guitariste Uzi Ramirez, le bassiste Jonathan Albalak et le batteur Aviv Cohen participent de façon importante à l’écriture des morceaux; ils ne sont pas de simples side-men au service de la pensée musicale d’un soliste comme c’est le cas souvent dans le jazz. Ils y participent et y mettent leur pâte.
Le projet est ambitieux et sans complexes aucuns.

Big Vicious veut créer une musique neuve, inécoutée ( pas inécoutable!) et sans barrières, basée sur une rythmique tellurique, invasive et prégnante. La présence d’un deuxième batteur le prouve ; Ziv Ravitz, qui joue également dans le quartet acoustique étant recruté comme second batteur : le rythme est la base de ce collectif, son soutien, sa colonne vertébrale.

Big Vicious se révèle à l’écoute un cocktail détonant de textures sonores venues de la musique électronique beaucoup, de séquences relevant de l’ambient ou de la musique psychédélique souvent, ainsi que de grooves et de rythmes empruntés au rock, à la pop, ou encore au trip-hop.

La mélodie y a peu de place, et lorsqu’elle est présente ne cherche pas le relief. On passe de sons saturés, triturés à des boucles répétitives, d’accords déliés et harmoniques à des jets d’onomatopées, des vibrations électroniques riches de toute la suavité du monde aux interventions d’une guitare spatiale ou d’une techno expérimentale. La trompette très claire d’Avishai Cohen est parfois doublée par la basse ce qui donne une langue intéressante.

On a le sentiment parfois de grand écart à l’écoute de la version du « Teardrop » de Massive Attack comme une rêverie brumeuse, ou d’une visite tout en suspension de la Sonate au clair de lune de Beethoven et ses arrangements à tiroirs. Les textures sonores sont denses, très denses.

Et c’est peut être là que le bât blesse: la densité.
Dans ce lac de lave bouillonnant, on a du mal à retrouver, savourer, décrypter les ingrédients. Les rares moments minimalistes, tribaux sont d’une grande beauté, d’une belle justesse mais ils sont recouverts d’une texture si épaisse de sons en tous genres et à saturation qu’on s’y projette peu.
On pourrait juste se laisser porter par le moment, se laisser emporter par la couleur…
car il y a des moments fulgurants d’intelligence: une basse utilisée parfois comme une guitare mélodique, des changements d’atmosphère et des contre pieds surprenants…mais la marmite bouillonne encore et encore et la noyade n’est pas loin.
Du moins pour moi…

Bien sûr la démarche et le projet sont remarquables, compréhensibles et on ne peut qu’approuver cette idée de sortir des sentiers battus et confortables et de créer du neuf,.
Bien sûr les cinq musiciens sont exceptionnels de qualité.
Bien sûr, il faut ouvrir ces oreilles à des sons autres, des sensibilités autres…
Mais comme dans toute création artistique, il faut que le désir créatif, l’intelligence, la technique se fissurent pour laisser une petite porte d’entrée à l’émotion. Que celle ci relève du ravissement, du dégoût, de l’agacement, ou du plaisir peut importe.
L’art n’est pas fait pour singer la réalité, la recopier à outrances, ou rester dans le plaisir , mais l’émotion se doit d’être présente, de se frayer un chemin.

Ce soir, je n’en ai surtout senti que projet, que le concept… Il me faudra sans doute , avec modestie, me relancer dans une nouvelle écoute, une nouvelle rencontre pour en saisir l’intérêt, me laisser embarquer, accepter de m’y noyer….
Cela ne remet aucunement en cause la pertinence de ce projet et l’audace qu’il leur aura fallu pour s’y lancer
Big Vicious existe et c’est une belle victoire sur le conformisme ambiant.