Marciac : 29 Juillet 2020

Texte : Annie Robert
Photos: Laurent Sabathé

Leyla McCalla s’installe sur scène avec ses trois musiciens dans une simplicité, une gentillesse qui sont ses marques de fabrique. Tout au long du spectacle, elle fera l’effort de parler français ( et pas si mal que cela) pour une proximité touchante, presque un entretien en tête à tête.
Loin des afféteries, du clinquant, du glamour à outrance et des poses, elle est là pour parler de vie, de vie partagée, recherchée, d’amour mais aussi de blessures. Sa musique est le reflet de son image: sincère et multiple avec une recherche d’échanges permanente.
Née à New York, d’origine haïtienne, elle est venue s’installer à la Nouvelle-Orléans en 2010.
Entre blues du bayou et folklore haïtien, ses chansons ont l’intensité d’une chanteuse engagée en tant que femme, que mère, et qu’activiste. Ses choix artistiques reflètent une démarche tout à fait personnelle mais finalement universelle: recherche de la multiplicité de ses racines, acceptation de soi et des ses différences, re-narcissisation d’une image enfantine écornée par des siècles d’esclavage, de mise à l’écart et d’exploitation. Comment se sentir quelqu’un quand les cultures dominantes ont nié pendant si longtemps les autres cultures ….
« Nous parlons beaucoup de la violence et de la pauvreté des Noirs, mais si peu d’amour et de beauté noire…» dit elle.
À La Nouvelle-Orléans, berceau du jazz et de la culture créole, mais aussi mémoire vivante de l’esclavage et de la résilience noire américaine, elle a sans doute trouvé le chez-soi musical et humain dont elle avait besoin, un terreau profond et riche.
Du coup sa musique explore tout cela, le blues créole un peu triste, un peu résigné ou le violon cajun joyeux et sans fard en passant par les chants de travail des esclaves. Leyla McCalla est multi-instrumentiste, passant du banjo à la guitare en accompagnement rythmique mais c’est surtout au violoncelle qu’il soit pincé ou gratté, son instrument de base, qu’elle insuffle toute l’émotion dont elle est porteuse. Ses mots se déploient en anglais ou en créole, parfois dans des dialectes de la Nouvelle Orléans.

«La langue est ce qui nous lie, ce qui fait histoire» dit elle «et j’ai encore beaucoup à explorer…»
Certes sa musique a du propos et quelque chose à dire. Le projet est là, mais la création et la qualité musicale le soutiennent en permanence.
Servie par une guitare solo très véloce, parfois bien électrisée sur certains morceaux (Nahum Johnson Zdybel) une basse ou contrebasse déliée et profonde (Peter Olynciw) et une batterie à la pulse délicate (Shawn Meyers), des intro variés et des jeux entre les instruments renouvelés, elle nous emmène sous les vents légers ou tempétueux du sud, dans les blanches maisons odorantes et les épices fortes, dans les relents de vase ou les éclats de soleil, entre les coups et les blessures , les rages et les amours.
Elle commence avec un air créole, tout en tendresse et douceur, et poursuit avec la chansons si connue d’Harry Belafonte «Merci bon dieu» mélancolique, désabusée et ironique.
Tout au long du set alterneront les moments de balades blues, ritournelles créoles et entêtantes, expressionnistes ou mélancoliques et les morceaux plus âpres tel celui dédié à la Syrie ou celui écrit sur les poèmes de Langston Hughes.
La forme se veut parfois un peu électrique, avec cordes en nylon ou accords saturés et d’explosives rythmiques, un tempo qui donne chaud ou bien des perles acoustiques à pleurer ( voix/ violoncelle) qui donnent à la base «folkorique» la profondeur nécessaire.
Le dernier morceau «Le bal est fini», tragique y compris dans une musique heurtée et secouante, est dédié à Jean Dominique, journaliste haïtien assassiné par le système Duvallier.
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Leyla McCalla nous éduque, nous emmène doucement à comprendre par sa musique et ses mots , à la fois frontalement et poétiquement tous les manquements du système capitaliste.
C’est un rude travail qu’elle a choisi là, une grande utopie qui porte sa musique et lui permet de rencontrer et de partager ce besoin pressant de faire corps avec le monde qui l’entoure. Celui dans lequel est inscrit son quotidien tout comme les cultures créoles et le sens “politique” qu’elles invoquent.
La musique n’en sort que plus brillante et heureuse, grandie en qualité et nous avec !!