film de Alan Elliott et Sydney Pollack

texte: Annie Robert

Voici une petite merveille, d’autant plus réjouissante à savourer qu’elle a mis plus de quarante ans à exister et a bien failli ne jamais voir le jour.

.91pku7N9naL._SY445_.jpg

En janvier 1972, Aretha Franklin est une jeune femme de 29 ans et déjà son aura et sa gloire sont immenses. Elle décide d’enregistrer un album live de 14 chansons dans une petite église baptiste du quartier de Watts à Los Angeles sur deux jours seulement et avec la présence du public de l’office. Aretha revient ainsi à sa «base», sa moelle épinière musicale. Fille d’un pasteur- chef de chœur et d’une chanteuse de gospel, elle a grandi, respiré, mangé, pensé Gospel depuis sa plus tendre enfance. Le disque de ce concert mythique, Amazing Grace deviendra l’album de Gospel le plus vendu de tous les temps. Deux millions d’exemplaires écoulés, un Grammy Award…, le plus grand succès de la Lady Soul.
.

La Warner décide de filmer ces moments précieux, des répétitions en passant par les coulisses et bien sûr le concert lui même. C’est Sydney Pollack qui est aux manettes et avec lui cinq caméras mobiles. Pour autant, les images qui sont sorties en 2018 en salle sont inédites. Car à cause de nombreux problèmes techniques, le film n’a jamais réussi à être monté. Le producteur Alan Elliott les exhumera vingt ans plus tard, rêvera de les produire pendant vingt ans aussi et ne pourra le faire qu’il y a peu avec l’apparition du numérique.

Et ce documentaire est un cadeau remarquable à plusieurs points de vue.
D’abord musicalement.
C’est Aretha en plein jeunesse!! Déjà si forte, si accomplie!! Épaulée par le magnifique chœur de la Southern California Community dirigé par Alexander Hamilton, avec la présence émue du révérend James Cleveland au chant et au piano et de ses musiciens attitrés, Aretha Franklin chante de tout son cœur, de toute son âme, avec cette voix unique, souple, forte et émouvante qui est la sienne, portée sans doute par la foi de tous. Et la voilà, mesurée dans ses propos, ne brisant aucunement ce silence de cathédrale, totalement recueillie ou relançant la folie fervente qui s’empare de chacun. Elle sait instinctivement que son chant est à ce moment précis tout ce qui compte, et pour elle, et pour eux tous. C’est d’une grâce et d’une puissance incroyables.

Le deuxième intérêt de ce film est historique. Il est le point de focus d’un moment sociologique de l’Amérique et du combat pour les droits des noirs américains.
Tous les gens présents dans ce film sont des combattants pour l’égalité, que ce soient les noirs bien sûr, les connus et les anonymes mais aussi les
quelques blancs présents comme Sydney Pollack et même un jeune Mick Jagger qui apparaît furtivement au fond de la salle, debout et enthousiaste, frappant des mains.
Bien sur, le chant religieux est le support de ce film, mais pas seulement. A travers ces chants- prières,
on comprend bien que c’est une communauté entière qui se lie, partage ses espoirs et désespoirs, ses larmes et ses cris. Une communauté qui se protège et demande protection au ciel comme au politique. Dans le public présent, on pleure, on rit, on danse, on chante, on invective les chanteurs, son voisin et la face de dieu. L’émotion déborde, le trop plein de douleurs, de rancunes ou de joies s’épanche largement. Et La voix d’Aretha est le médium de tout cela.

Amazing Grace n’a aucun faux-semblant. Il n’y a pas d’effets spéciaux, pas de frime de réalisation. Les caméras bougent à peine. Les gros plans sur les visages sont constants, on perçoit la sueur et les larmes. Nul besoin d’artifices. Car le chant est là, fervent et magnifique.
Si ce documentaire passe à proximité de chez vous, n’hésitez pas à lui consacrer une heure et demi . Un petit miracle de grâce!!

1232098.jpg

 

Vu au Ciné club de Marciac…le 29/ Juillet 2019