André Lafitte : souvenirs d’un musicien de terrain

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

A chaque venue au Anglet Jazz festival nous échangions des bonjours avec visiblement un habitué du lieu. Cette année la conversation s’est engagée et nous avons ainsi découvert un (ancien) musicien, de ceux qui ont bourlingué dans leur jeunesse entre studios, music-hall et bals, mais qui n’ont jamais vraiment décroché. Combien de grands musiciens ont commencé comme ça avant de faire carriére… Intéressant de rencontrer un « musicien de terrain » – aucun sens péjoratif pour nous, ils le sont finalement tous – et d’échanger avec lui sur sa passion, notamment celle des claviers.

André Lafitte, connu comme Dédé » a même eu la gentillesse de nous recevoir chez lui où il nous a accueillis dans son salon au son du dernier album de Marcus Miller, une belle sono mettant particulièrement en valeur les slaps de l’homme au pork pie hat. Salon oui, mais de musique surtout avec deux synthétiseurs dont un Korg et un magnifique orgue Hammond B3 avec pédalier de basses et sa cabine Leslie. Nous arrivons quelques jours trop tôt, il attendait pour la semaine suivante un Rhodes « Seventy Three » fraîchement restauré !

AJ : alors à quelle époque jouais-tu en orchestre ?

AL: de l’âge de 20 ans jusqu’à 40 ans, j’en ai maintenant 75. C’est donc la période de fin des années 60 à fin des années 80

AJ : dans quel style d’orchestre ?

AL : un orchestre de variété mais à l’époque certains se spécialisaient et nous nous avons pris l’option avec des cuivres, Chicago, Tower of Power, ce genre là. Avec la rythmique nous étions de 7 à 9. Une rythmique de base à deux claviers parfois, dont moi, et la section de cuivres, trompette, trombone, sax. Donc on a fait du baloche, un peu partout. A cette époque les orchestres gagnaient bien leur vie mais il fallait qu’ils se déplacent, Bordeaux, tout le sud, Marseille…

AJ : comment s’appelait le groupe ?

AL : Bacchanales . Mais auparavant c’était l’orchestre Georges Prater de Pau

AJ : c’était un orchestre de bal de bon niveau je suppose ?

AL : oui, à l’époque il y avait de tout des orchestres de baloche ou de musette pour les petits villages. J’ai joué parfois au début en rentrant de Paris dans les villages du Pays Basque en 1970. J’y allais avec l’orgue Hammond et le Fender, j’arrivais à jouer 20 soirs par mois ! En juin, juillet, août c’était presque tous les soirs.

AJ : et oui une belle école, je me souviens quand j’avais interviewé Camélia Ben Naceur elle m’avait dit qu’elle jouait de l’accordéon dans les bals à 15 ans, alors qu’elle est maintenant un des claviers de Billy Cobham !

AL : j’adore ce musicien Billy Cobham, j’étais impressionné et à l’époque avec Bacchanales notre batteur Beñat Amorena jouait comme lui, c’était une machine, il retombait toujours sur ses pattes. C’est toujours une sommité dans le pays. C’est comme hier soir Magnus Ostrom cette pulsation permanente alors que Raphaël Pannier était plus du côté mélodique.

AJ : tu as touché au jazz ?

AL : pas vraiment, pas de jazz traditionnel, mais du jazz rock de temps en temps.

On évoque alors le concert de Bayonne en 1976 dans les arènes avec cinq groupes , Billy Cobham et George Duket, Herbie Hancock et les Headhunters, John Mc Laughlin et Shakti, Larry Coryell mais sans Eleventh House et enfin Weather Report. (1)

AJ : j’y étais et toi aussi ?

AL : oui, j’avais fait annuler une date avec l’orchestre pour pouvoir y aller, ils m’en avaient voulu sur le moment mais pas après le concert !

André va alors chercher une boîte avec les photos d’époque. Les souvenirs remontent, les cheveux longs, les pattes d’eph…

AL : Je chantais même. On arrivait avec tous les claviers, le Fender, le Clavinet, un ARP ; il avait fallu prendre un second claviériste. Le problème de l’époque c’est que les synthétiseurs ne tenaient pas l’accord. Alors j’en avais deux avec tout un tas de petite boîtes pour les accorder chaque fois que je faisais un chorus ! Des chorus à la Jan Hammer ou à la Zawinul. Avec le synthé je me substituais au guitariste, ça le rendait fou, je lui piquais la vedette.

AJ : qui étaient les musiciens avec toi ?

AL : Beñat Amorena donc qui est toujours une sommité dans le pays, Mixel Ducau guitariste et chant.

AJ : oui Mixel Ducau je sais qu’il joue de temps en temps avec Jean-Marie Ecay et Pascal Ségala

AL : il avait monté le groupe Herrobi très côté ici . Le sonorisateur qui l’est toujours est Gérad Phaucas , Robert Suhas. Mixel il nous emm… parce qu’il ne vieillit pas il est le même que jeune !

Les photos sortent de la boîte, d’autres souvenirs remontent.

AL : là j’étais tout jeune, 18 ans environ, je jouais de la trompette avec l’orchestre de Pierre Bergeret ancien premier trompettiste de Jacques Hélian et revenu dans le sud ouest. C’était un big band. Mon père était trompettiste j’avais appris avec lui en plus du piano. Je suis parti un temps à Paris et Camille Sauvage très célèbre à l’époque ayant su que j’avais joué avec Jacques Bergeret, m’a engagé ; il y avait Marc Laferrière aussi. A Paris il m’ont foutu dans toutes les mafias de studios. Je faisais des remplacements pour jouer du French Cancan à la trompette ; pas une seconde de répit, épuisant !

AJ : c’était déjà ton métier ou tu faisais des études en parallèle ?

AL : je faisais des études d’électronique puis je suis devenu ingénieur informatique. J’ai commencé en apprenant comment fonctionnait un transistor tu vois l’évolution ! Mon père m’a trouvé un emploi dans une usine ici et le plus dur a été de concilier la vie nocturne de musicien avec mon métier. Tiens voilà Pierre Bergeret il jouait de la trompette en suraigu à la manière de Maynard Ferguson. J’écoute aussi beaucoup le WDR Big Band allemand avec son organiste fou.

On écoute une version de « Birdland » par Maynard Ferguson, en effet une trompette très aigue.

AJ ; et donc tu es revenu au Pays Basque en 1970 environ ?

AL : oui, j’ai alors joué dans les campagnes, sur les charrettes le matin à l’apéro. Si tu voulais jouer le soir avec l’orchestre il fallait en passer par là, sinon plus d’engagement !

AJ : tu jouais de l’orgue Hammond déjà.

AL : oui je m’y suis mis, on se le trimbalait dans les bals mais je l’ai revendu pour acheter des synthés, la plus grosse connerie de ma vie. C’était lourd à déplacer, à transporter. On avait un chauffeur portugais qui s’occupait du chargement, il n’arrivait pas à dire Leslie il disait « les slips » ; ça nous est resté !

AJ : et cet orgue Hammond ici d’où vient-il ?

AL : j’en cherchait un depuis 6 ans et j l’ai trouvé par hasard grâce à Beñat Amorena qui m’a dit qu’ Au Peita, le restaurant bayonnais du guitariste Marc Alibert où se déroulent des jams, il y avait un B3 en dépôt depuis des mois. Marc ne savait même pas à qui il appartenait ! Il m’a orienté vers un luthier de Bayonne qui avait travaillé dessus et qui connaissait lui le propriétaire installé à Lourdes et qui après des ennuis de santé ne pouvait plus en jouer. Je l’ai contacté, il est venu ici voir si l’orgue serait bien installé et on a conclu l’affaire. Il avait les larmes aux yeux de s’en séparer.

AJ : on va aller écouter ça

AL : avec plaisir

Et c’est ainsi que notre entretien s’est terminé autour du B3 et des synthés ! Une tranche de vie de musicien comme il doit en exister tant d’autres, de la nostalgie mais aussi de la bonne humeur pour cette rencontre très sympathique. Merci de ton accueil Dédé.

(1) https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/retour-vers-le-futur/

PS : le Rhodes « Seventy Three » est arrivé, le voilà :