Par Philippe Desmond.

  1. Giscard est à la barre et Barre est aux affaires courantes, Concorde, modèle de modernisme, effectue ses premiers vols commerciaux mais la peine de mort, modèle d’archaïsme, est toujours en usage. Si les poteaux avaient été ronds au lieu d’être carrés St Etienne aurait battu le Bayern de Munich en finale de coupe d’Europe. Les ados fantasment en allant voir au ciné « A nous les petites Anglaises », les adultes larmoient devant «  le Vieux Fusil ». Après plusieurs chocs pétroliers la France est sortie de ces fameuses trente glorieuses mais on ne le sait pas encore car l’expression ne sera créée qu’en 1979.

Moi j’ai 20 ans, bientôt 21, des projets plein la tête mais celui de ce mois de juillet 1976 c’est un concert qu’il ne faut pas rater aux arènes de Bayonne.

Jugez-vous même grâce au billet que j’ai conservé.

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Le prix 40 francs une fois converti grâce à l’indice monétaire de l’INSEE serait maintenant de seulement 25 € ! 164 francs soit dit en passant…

Motos, tentes de camping, des vrais avec des piquets, pas ces machines automatiques de maintenant, et nous voilà partis vers le sud à trois potes sur l’ancienne Nationale 10.

Je franchis pour la première fois la porte d’une Plaza de Toros pour y rencontrer de sacrés « figuras ». Un monde fou dans le « sol »,  le « sombra » étant réservé aux musiciens, ambiance festival, normal, c’en est un.

Billy Cobham ! On sait qu’il est là car une gigantesque batterie est déjà  installée. Le maestro n’a guère changé de méthode comme le prouve cette photo prise lors d’une tournée de 2014. (Merci Camélia  ; photo Steve Hamilton)

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On connaît tous pas cœur l’album « Spectrum » sorti en 1973 et le titre qui est devenu l’hymne de l’artiste « Stratus ». Nous n’avons pas encore de grosse culture jazz et Billy est alors pour nous le plus grand batteur de l’univers.

Il est donc en formation avec George Duke aux claviers et au chant et notamment John Scofield à la guitare. Du jazz rock comme on dit à l’époque électrique et très funky, qui quarante ans après accuse quelques faiblesses et travers – abus de synthé, d’effets – mais très novateur en 1976. Cette musique permettra à bon nombre d’entre nous de pénétrer dans l’univers complet du jazz. Cette tournée européenne de Billy a été captée dans l’album « Live on tour in Europe ».

Herbie Hancock et sa coupe afro arrive ensuite avec les Headhunters, il est dans sa pleine période jazz rock électrique et funky juste avant de reformer « VSOP ». Les titres emblématiques comme « Watermelon Man » sont méconnaissables mais ça sonne bien et gros et en plus on ne connait guère les originaux ! Pour nous c’est ça Herbie Hancock, un gars avec des habits bariolés qui joue super bien du synthé et du clavinet, on découvrira après tout le reste, d’avant notamment…

John Mc Laughlin est annoncé mais dommage, pas avec le Mahavishnu Orchestra ce groupe qui nous fait planer et monter au Nirvana sans aucun autre artifice ou produit illégal. Petite – grosse – déception, John s’installe en effet avec Shakti la formation indienne certes intéressante mais un peu décalée ce soir-là. Au moins ça nous ouvre les oreilles vers d’autres voies.

On attend avec impatience Larry Coryell accompagné des « Eleventh House », du jazz-rock énergique et puissant autour de la belle guitare du leader. Larry se présente pour le moment seul, avec sa guitare, s’approche du micro et nous entonne « Band on the Run »  de Paul Mc Cartney. On a compris, son groupe l’a planté et il va donc jouer tout seul ! On ne saura jamais le fin mot de l’histoire.

La nuit est tombée c’est l’heure du bulletin météo que tout le monde attend après ces deux petites et relatives désillusions. Weather Report est au sommet de son art en 1976. Joe Zawinul a réussi à créer un son, un style. C’est l’année de l’album « Black Market », Wayne Shorter est là – dont nous ignorons tout le passé à l’époque ; je rappelle aux plus jeunes qu’il n’y avait pas internet  – ainsi qu’un phénomène de 25 ans à la basse Jaco Pastorius. Tous les autres leaders de la soirée avec leur trentaine ou quarantaine pour Joe et Wayne font figure d’ancêtres à côté de lui…et de nous. Alex Acuña est là aussi et à la batterie certainement Chester Thompson. Un concert fabuleux avec ces atmosphères riches et changeantes, ces envolées de Joe et Wayne, ces solos et ce son de Jaco et ces percussions inégalées. Un très grand souvenir. Et la musique de Weather Report a elle réussi à traverser les années.

Une soirée extraordinaire– nous en rendions nous compte à ce moment-là ? – et inoubliable que j’ai eu le bonheur d’évoquer avec Billy Cobham en avril dernier au Rocher (voir chronique sur le blog) , dont, relativité des choses, il se souvenait à peine… « Yes, Bayonne, I remember, it was in Spain no ? ». Mais 39 ans après j’ai eu ma dédicace !

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