par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Cinémax Linder, Créon jeudi 29 novembre 2018.

Dans le cadre des 10 ans des « Jeudis du Jazz » de Créon, et en collaboration avec l’association Larural créatrice de ces concerts de jazz, l’association voisine et ami qui s’occupe du CinéMax Linder a proposé une projection suivie d’un débat sur le thème « le jazz en héritage ». A côté de Karfa Diallo le fondateur de Mémoires et Partages, Action Jazz était représenté par moi-même pour animer le débat. C’est le film « Retour à Gorée » de Pierre-Yves Borgeaud, sorti en 2008, qui a été choisi.

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Ce documentaire retrace le périple de Youssou N’Dour sur les traces des esclaves noirs dont l’héritage dans le jazz est fondamental. L’île de Gorée, symbole fort de la traite des esclaves, en est le point de départ et d’arrivée. Entre temps, de l’Europe aux USA, on suit la mise en œuvre du projet musical de Youssou N’Dour, arranger sa musique en jazz, en s’entourant de musiciens de tous horizons, le pianiste suisse d’origine tunisienne Moncef Genoud (Michael Brecker, Dee Dee Bridgewater…) , le mystique batteur américain Idriss Muhammad (Lou Donaldson, Ahmad Jamal, Pharoah Sanders, Grover Washington Jr…), le contrebassiste James Cammack (Ahmad Jamal), des chanteurs de Gospel… On rencontre notamment Amiri Baraka, disparu en 2014, connu sous son nom précédent de Leroi Jones, écrivain, essayiste très engagé dans le combat de la communauté noire américaine et qui a écrit aussi sur le jazz. L’aboutissement du projet est le concert dans la maison des Esclaves sur l’ile de Gorée à Dakar. On y retrouve Boubacar Joseph Ndiaye, le charismatique conservateur de ce lieu, lui-aussi disparu, en 2009, un vieux sage au visage de masque africain, ancien « Tirailleur Sénégalais ».

Au delà de l’aspect mise en place musicale, le film est l’objet de nombreuses discussions sur l’esclavage, la ségrégation et la condition des Noirs. On y voit se mêler les styles musicaux qui ont fait naître le jazz , des percussions africaines au Blues, en passant par le Gospel. Plus qu’un documentaire musical c’est une réflexion sur tous ces sujets qui est ainsi proposée dans ce « road movie » au rythme lent, parfois grave, parfois gai.

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Dans la discussion qui suit le film Karfa Diallo, qui intervient dans le film et a accueilli le tournage et Youssou N’Dour à Bordeaux à l’époque – aucune image retenue – revient sur le tournage du film. Il parle bien sûr de ce terrible commerce triangulaire qui a enrichi tant de monde, notamment à Bordeaux, et en appauvrissant beaucoup plus. Il évoque l’oeuvre fondamentale de Léopold Sédar Senghor, le grand dirigeant sénégalais dans un certain redressement de l’Afrique.

Il revient sur l’engagement à l’époque de Youssou N’Dour, édulcoré depuis par ses différents postes de ministres dans le gouvernement sénégalais, parallèlement à sa carrière de musicien mais aussi d’homme d’affaires. Leur liens d’amitié en ont d’ailleurs pâti. Il parle bien sûr de son travail de mémoire à Bordeaux et au delà, les visites guidées du Bordeaux Nègre, le projet en janvier prochain sur les Tirailleurs Sénégalais, nom générique désignant les combattants venus d’Afrique Noire, ces hommes délaissés par la France et en cours d’une réhabilitation bien trop tardive et encore timide ; combien en reste t-il ? Karfa, avec sa verve et sa passion, évoque l’arrivée des soldats noirs américains à Bordeaux en 1917, restés à l’arrière pour construire, notamment le port de Bassens et qui ont amené dans leurs paquetage le jazz avec l’orchestre militaire de James Reeves Europe. On date le premier concert de jazz en France avec cet orchestre à Nantes en 1917.

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Après avoir présenté Action Jazz, je m’attache à parler en diagonale de l’histoire du jazz. Tâche complexe voire impossible que de définir et dater son origine. On s’accorde à dire 1917, on évoque New Orleans mais la réalité est tellement plus complexe. Définir le jazz est déjà une tâche tellement ardue. Je cite en exemple l’actualité récente à Bordeaux : le mardi le trio de Greg Howe, de la fusion mais du jazz, le jeudi le quintet de Kyle Eastwood, du jazz des 60’s revisité, le vendredi le quintet de Roger Biwandu avec du hard bop, le dimanche Chick Corea en piano solo nous proposant ses oeuvres mais aussi brodant sur Mozart, Chopin, du blues encore du jazz, la veille Gogo Penguin, le trio anglais et sa rythmique implacable, ses répétitions, sa quasi absence de mélodie, sa transe – tiens voilà l’Afrique – toujours du jazz. Et encore pour certains, aucun de ces concerts n’est du jazz, celui-ci s’arrêtant pour eux au vieux style New Orleans – le jazz là-bas étant toujours bien vivant et parfois d’avant garde – voire du Swing des 40’s !

 

Un point sur lequel tout le monde s’accorde est sa naissance aux Etats unis au début du XXe siècle par un brassage des cultures musicales africaines, amenées par les esclaves, et européennes celles des colonisateurs du continent. Pour les premières, la riche présence des percussions, la pauvreté des mélodies, l’engagement du corps, la transe, l’appel réponse, la tradition orale, pour les secondes, la faiblesse des percussions, la richesse des mélodies, l’écriture. Deux cultures qui se noient l’une dans l’autre, Amira Baraka, évoqué plus haut,  ayant souligné, par exemple, que dans la culture socio-musicale africaine la notion de solo, si caractéristique du jazz, n’a pas sa place. Mélange aussi des instruments, des tambours, des luths devenus banjos avec le piano, les cuivres, les anches… Tant de choses à dire en si peu de temps !

Merci à l’équipe du CinéMax Linder de son invitation et de son accueil, quant au prochain « jeudi du jazz » ce sera le 20 décembre avec le Nowhere de Ouriel Ellert.

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Conseil de lecture pour vraiment tout savoir – ou presque – sur le jazz et son histoire, un bouquin très bien fait : « Le jazz dans tous ses états » de Franck Bergerot chez Larousse

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