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Il y a des soirs comme ça, la douceur de la fin de journée, la fraîcheur qui pointe son nez, la nuit qui s’annonce sereine, calme comme une nuit de milieu de semaine. Et puis finalement on se décide, on va rejoindre des amis pour une soirée de plus, prendre un verre, ou deux, ou plus. Le prétexte ? Un concert de jazz avec des musiciens familiers – deux ce soir – mais aussi une invitée surprise. Les premiers on les connait, on les aime : le patron, Roger Biwandu, ses peaux, ses baguettes, et la patronne comme il s’amuse à la nommer, Nolwenn Leizour divine contrebassiste. L’invitée surprise baptisée avec malice en référence à son second prénom « Victoria Principal » sera aux claviers. Nous sommes quelques-uns à connaître cette identité qu’elle tient à masquer pour des raisons qui lui appartiennent. Roger et ses drôles de dames qu’il présente ainsi ; Blondie et Brunie ! Le lieu, insolite, mais finalement pas tant que ça car Roger y a déjà joué maintes fois, le Bistro du Fromager un paradis de pâtes molles, dures, crues, cuites, de cochonnailles et de vins rouges. La soirée s’annonce bien. Elle le sera, et même davantage.
Répertoire varié du trio avec en hors d’œuvre la signature de Roger Biwandu, sa composition from Palmer référence au lieu de son enfance et déjà une première alerte aux claviers. Mais qui est donc cette pianiste endiablée qui déjà « martyrise » ce clavier Casio aimablement mis à sa disposition par le docteur Fontès ? Grimaçant, chantant ses notes, secouant sa tignasse brune, ne tenant pas en place sur son tabouret elle commence à enflammer la salle. Roger jubile aux baguettes, Nolwenn fait magnifiquement ronfler « Mémé » sa contrebasse, le public, nombreux, se régale.
Puis c’est au tour d’Herbie Hancock de voir sa Cantalupe Island victime d’un tremblement de terre pianistique. Antonio Carlos Jobim ramène tout le monde au calme avant un décollage de seven steps for heaven pour retrouver Miles. Une pause, déjà.
Un peu de pain, de vin, de fromage histoire de se remettre de ces belles émotions et on repart avec entre autres une black night de Wayne Shorter tonitruante et un sing a song of song superbe mélodie de Kenny Garrett montée à son paroxysme et reprise même en chantant par le public. Nolwenn, entre la frappe lourde mais toujours créative de Roger pourtant en configuration légère – caisse claire, grosse caisse, cymbale, charleston – et le clavier omniprésent de « Victoria », groovy, funky, boogie, Nolwenn donc nous régale de sa virtuosité ; quel mérite d’exister et même mieux que ça entre ces deux « monstres ».
Bon alors c’est qui cette invitée surprise ? Une belle fleur, digne d’un roman d’Alexandre Dumas fils, qui tient les claviers d’un autre batteur mondialement célèbre, au prénom de bibliothèque suédoise en kit et qui lui ne joue jamais en configuration légère comme Roger ce soir. Ceux qui la connaissent l’auront identifiée, les autres pas d’importance mais vous avez raté un concert magnifique, du bon fromage et du bon vin. C’est pourtant simple le bonheur.

Philippe Desmond. Photos Alain Pelletier