Un tour des clubs à Paris

Texte et photos Philippe Desmond

Paris, du 27 au 30 mai 2023

Une fois n’est pas coutume on va quitter un moment la région Nouvelle Aquitaine. Tous les ans, fin mai, la petite balle jaune (blanche auparavant puis jaune depuis que les télés ont imposé cette couleur plus télégénique en 1978) m’attire à Paris. C’est l’occasion, le soir, de traîner dans les clubs de jazz et d’y retrouver pas mal de musiciens croisés au gré des concerts et des festivals dans notre région.

Le cadre feutré du Café Laurent

Samedi, après une visite à la Philharmonique pour l’expo « Basquiat Soundtracks » où le jazz se taille une jolie part (playlist sur toutes les plateformes), puis juste à côté, à la Cité de la Musique, pour celle consacrée à Fela Anikulapo Kuti nommée «Rébellion Afrobeat» je quitte ces deux univers colorés et surtout très engagés pour un endroit feutré, le Café Laurent.

King Zulu . Jean-Michel Basquiat 1986 – 202,5 x 255

Situé dans l’Hôtel d’Aubusson rue Dauphine, un 5 étoiles fréquenté par beaucoup d’américains dont Paul Auster, ce lieu accueille tous les soirs du jazz. Ouvert à tous il se situe au dessus de la cave qui a a fait les belles nuits de Saint-Germain-des-Prés après guerre, le mythique Tabou. Boris Vian, Juliette Gréco, Miles Davis, Claude Luter autant de noms légendaires qui fréquentaient cet endroit ; un lieu de folie organisée selon l’écrivain joueur de trompinette. Boris et Juliette y ont encore leur photo… sur la porte des toilettes messieurs et dames ! La cave est devenue un spa.

Ce soir s’y produit un quartet autour du pianiste Christian Brenner (1) qui gère ici la programmation. A la guitare Serge Merlaud musicien magnifique autant que discret, qui partage sa vie entre Paris et Los Angeles, à la contrebasse Bruno Schorp que l’on entend de temps en temps avec Eric Séva (entre autres), à la batterie Frédéric Delestré. Programme de standards bien sûr, le public, en partie de l’hôtel, est là pour ça ou pour boire un verre sur de confortables fauteuils dans un décor très cossu. On entendra de belles versions de « Black Eyes » de Wayne Shorter, de « Anthropology » de Charlie Parker et bien d’autres adaptations tout aussi intéressantes. Deux sets de 50 minutes, pas besoin de réserver et un joli moment. https://www.hoteldaubusson.com/fr/cafe-laurent

Évocation de Charlie Parker au Sunside

Dimanche, plongée dans le New York underground des 80’s avec l’expo « Basquiat x Warhol , à quatre mains » à la fabuleuse Fondation Louis Vuitton, puis dans le New York du be bop des années 40’s et 50’s au Sunside. S’y déroule la traditionnelle conférence-concert de Lionel Eskenazi (mon confrère de Jazz Magazine si j’ose dire !) consacrée ce soir à Charlie Parker. Pour les musiciens, Jacques Vidal à la contrebasse et direction musicale, Alain Jean-Marie au piano, Philippe Soirat à la batterie et dans le rôle de Bird, Pierrick Pédron ; belle affiche non ? Le récit de la vie de Charlie alterne avec sa musique.

Trois heures, oui trois heures, passionnantes, musicalement de très haut niveau. Lionel délivre les anecdotes de la vie si dissolue de Bird, le sax alto de Pierrick est souvent en feu soutenu par le piano plein de délicatesse d’Alain Jean-Marie et une rythmique superbe. Le Sunside est d’ailleurs plein à craquer, à 19 heures par un dimanche ensoleillé qui invitait plus aux terrasses. Ces concerts-conférences sont réguliers, celui de Wayne Shorter, vu l’an dernier, était excellent. https://www.sunset-sunside.com/

La jam du Baiser Salé et sa bande de fous

Lundi, première journée tennis et retour rue des Lombards au Baiser Salé cette fois, retrouver un fou de sport et de musique (on ne va parler que de tennis) le percussionniste François Constantin qui anime la jam ici depuis une trentaine d’années ! Un lieu culte pour les musiciens qui veulent et osent se lancer. Un groupe pour lancer la soirée avant l’entrée des jammeurs, un thème, ce soir Charlie Parker, le revoilà, mais en latino s’il vous plaît ! Aux percus François donc, au piano Vincent Bidal (dit le pianiste des stars), à la contrebasse le géant cubain Felipe Cabrera et aux baguettes Gregory Louis, batteur d’Angélique Kidjo notamment. Du très très solide.

Le lieu est petit et on vous installe en mode Tétris. Je suis juste en face de François Constantin et je peux éventuellement le suppléer aux congas depuis ma place. Les voilà lancés en mode Bird Latino, « Out of Nowhere », « Just Friends » et voilà « My Little Suede Shoes » et « Tico Tico » déjà bien latinisés par Charlie et ici soumis aux orgies de percussions de François et Gregory, au clavier cubano survolté de Vincent et à la grosse basse sautillante de Felipe. Mais voici Francis Arnaud – bientôt en partance pour une grande tournée de Christopher Cross – qui prend les baguettes ; on joue quoi ? « All Blues », terrible, exceptionnel, toujours en latino. Des fous je vous dis ! La jam peut commencer, François a fait le tour des postulants par instrument. Un trio de jeunes qui joue son répertoire avec les percus du maître des lieux, un pianiste incroyable pour un « Caravan » explosif, ambiance de feu. C’est comme ça à chaque fois. Bientôt minuit, la pause, je les laisse malheureusement s’expliquer sans moi. François, ne change rien ! https://www.lebaisersale.com/

Le cosy et le tumulte

Mardi, deux clubs au programme après une journée de tennis. Retour au Café Laurent pour le second set avec cette fois un duo, le trompettiste arcachonnais Jérôme Etcheberry (2) (3) et le pianiste Pierre Christophe. Content de retrouver ces deux musiciens et de bavarder avec eux. C’est l’heure de commencer, 21h25, c’est très précis ! Public bien sage, bien propre sur lui et entièrement étranger, ou presque, venu chercher du « Emily in Paris ». Pierre et Jérôme vont jouer le jeu avec des standards, mais à leur manière, excellemment joués et (chantés ) mais aussi avec des fantaisies qui font mouche. Seuls de très bons musiciens peuvent se permettre ainsi de tels écarts, Pierre, sur le Steinway du lieu, avec son style parfois stride, parfois aux parfums d’Erroll Garner, toujours inspiré, Jérôme avec son élégance et sa finesse à la trompette et sa voix de crooner. Les américains seront ravis, ils auront vu « La Vie en Rose » et pris du « Tea for Two ». Un cliché pas si cliché que ça quand on a de l’oreille…

Il est encore tôt, 22h30, direction un lieu obligé du jazz et de la danse, le Caveau de la Huchette autoproclamé « Temple du Swing », dix minutes à pied à peine. Ce soir c’est boogie-woogie avec le quintet de l’explosif pianiste Nirek Mokar souvent évoqué dans ce blog (4). Les fidèles Stan Noubard-Pacha à la guitare et Claude Braud au sax ténor mais pas de Guillaume Nouaux à la batterie, actuellement en tournée en Espagne et un contrebassiste que je ne connais pas non plus. Spectaculaire toujours cette cave historique où on imagine davantage des instruments de torture que de musique et une ambiance folle, ça danse, ça parle fort, ça bouge et le « Rockhouse » du groupe en rajoute dans la folie ; ils sont terribles ! Pas mal d’étrangers aussi, le film La la Land dont une scène se situe ici, ayant ajouté de la notoriété au lieu. Cliché peut-être là aussi mais une vraie vie de club. http://www.caveaudelahuchette.fr/

Bien sûr il existe tellement d’autres lieux où je ne suis pas allé cette fois, des lieux de jazz plus créatif, plus moderne mais le jazz c’est aussi une histoire, un passé qui continue à vivre avec un vrai bonheur.

(1) https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/christian-brenner-quintet-avant-lete/

(2) https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/jerome-etcheberry-satchmocracy-vol-ii/

(3) https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/interview-de-jerome-etcheberry/

(4) https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/nirek-mokar-et-les-boogie-messengers-a-arcachon/

Galerie photos

Café Laurent : Christian Brenner quartet

Sunside :

Baiser Salé :

Café Laurent : Jérôme Etcheberry et Pierre Christophe

La Caveau de la Huchette

Photo souvenir pour Action Jazz avec les musiciens