MT4 – Vent du Sud –
par Patrick-Astrid Defossez
CDBaby
Marc Tambourindeguy (Piano, Voix, Compositions), Antoine Perrut (Saxophones), Laurent Chavoit (Contrebasse), Pascal Ségala (Batterie, Guitare acoustique), Invitée : Marie-Laurence Tauziède (Violoncelle).
Le vent du sud, levant du sud, levain du sud là où les mers se mêlent de vents suaves.
Bigre, serait-ce l’actualité du moment qui brièvement brouilla nos esprits à la réception de ce MT4 et qui nous interrogea d’emblée : s’agissait-il là d’un engin singulier à tube dont les russes ont le secret ? Renseignements pris, rien à voir avec quelconque T-14 ou autre, qu’on se le dise, il s’agit là expressément d’un bel ouvrage musical portant fleurs aux fûts et si’s.
Commençons notre chronique par «l’homme de l’ombre», lui-même l’Hombre du sud, ouest. Serge Bianne – le Studio Aturri est l’acteur incontournable des enregistrements de qualité, sis à Mouguerre (64) dans les environs de Bayonne. Ce studio met à la disposition des musiciens, un espace très agréable avec piano acoustique, cabines, etc. Les soli, duos, trios, quartettes ou quatuors s’y sentiront merveilleusement bien. Serge a de l’oreille, trois même, qu’il mettra au service du projet musical concerné, nous avons là affaire à un grand professionnel. Vous le découvrirez, cet album est excellemment bien enregistré et mixé.
Concernant le Teaser de MT4 https://www.youtube.com/watch?v=nLpZxZvL3R8 une question s’impose à nous : mais où est donc passée la violoncelliste ? Faisant partie intégrante, nous semble-t-il, de l’album, même en «simple» qualité d’invitée, celle-ci n’apparaît ni de corps ni de nom, mais où se cache le cœur de l’artiste accorde ? Bien dommage de ne pas découvrir cette dame de cordée dans ce Teaser aux mâles déployés car à cet album son apport expressif est d’importance !!
Mais revenons à notre sujet, nous nous égarons, de quel sud parle-t-on ici ?
Il faut dire que notre pays (celui des chroniqueurs ici œuvrant) n’a pas de sud(s), ressemblant davantage à un filet mignon alangui de son long dans la géographie européenne (je vous laisse deviner duquel il s’agit). Du coup, cet artefact multiculturel ne nous a jamais semblé posséder ni de réel sud ou nord, pays où même les identités langagières n’ont ni sud ni nord mais plutôt des côtés, des plafonds bas et lourds, des façades, comme celle au midi (zuid) : la France, aaaaah, elle en a elle des suds (et beaucoup de côtés aussi), mais dans cet album, duquel parle-t-on ? Appréhendons maintenant ce chemin de compos telle une aventure sur les courbes de niveaux d’une carte géo-sonore..
Belle cohérence architecturale de l’album où l’ensemble des titres, signé du compositeur Marc Tambourindeguy, se révèle des mêmes motivations sensibles. La forme des titres et leurs couleurs générales (tantôt mâtinées chanson, classique, jazz, musique de film, …), nous renvoient (nous semble t-il) à certains albums de jeunesse des Yellow Yackets et à ces trios de jazz nordiques où le easy listening est un postulat, une qualité intrinsèque assumée.
Le parti pris de cet album est de toute évidence la tranquillité, la sérénité, la sobriété, la réserve, la retenue … mais sont-ce ces qualités qui ont empêché la formation de «décoller»? Il nous demeure à l’écoute de cet album un goût de «on y va pas vraiment», de «retrait», voire de «timidité», album pourtant nourri de très belles plages internes.
Mention toute spéciale à l’excellent saxophoniste Antoine Perrut, que se soit au soprano (Hommage,…) ou au ténor (ailleurs), sa subtile expressivité est au faîtes, c’est un fait !! … nous retrouvons de-ci de-là les couleurs d’un Bob Mintzer (par exemple).
Mention toute spéciale à la violoncelliste Marie-Laurence Tauziède pour son expressivité qui trouve le son juste, le timbre approprié, au sein des compositions dans lesquelles elle intervient !
Nous avons aimé retrouver cette combinatoire sonore (un peu oubliée, un peu surannée) utilisant (fréquemment dans cet album) l’unisson octaviant entre piano/voix, saxophone ou violoncelle et ce, pour la présentation des thèmatiques principales … ça fait du bien un musicien qui chante, il nous rappelle des albums des années 70/80 et autres Chick Corea-Flora Purim… mais il y a chanter et chanter, le pianiste-compositeur chante-t-il intérieurement les improvisations qu’il nous prodigue ? Assurément, il nous ravit d’une pertinente ambivalence de chants extériorisés et intériorisés, et ça fait du bien.
Nous avons aimé :
  • Hommage : une très belle composition aux lointaines saveurs classico-fado osons-nous dire. Partant du duo piano et violoncelle pour se diriger vers un trio piano, violoncelle et saxophone. La contribution expressive du violoncelle nous fait affirmer que les parties A (duo) et C (trio) de cette composition mériteraient d’être publiées en partition et ce, à destination des conservatoires. D’autre part, il nous semble que dans la partie A et C, le piano aurait pu être aussi expressif (et non linéaire) que le violoncelle (et le saxophone). À notre avis, le piano submerge quelque peu le violoncelle et par la suite le soprano (son beau solo), s’agit-il là d’une volonté du directeur musical, du compositeur, de l’ensemble ? Dernier point : pourquoi l’absence d’une belle respiration avant la partie B, pourquoi une césure si abrupte entre partie B et C amenant à ce beau trio ? Respirations aaahhhh respiration.
  • aux saveurs plus club de jazz, Influence s’adresse aux amateurs de mesures discrètement asymétriques, aux cinq-8 très appréciés du jazz nordique et des trios israéliens de jazz actuels … nous nous régalons du saxophone ténor ! Mais l’attraction introvertie de l’ensemble empêche son décollage pardi. Dans la dernière partie du morceau, pourquoi la batterie de Pascal Ségala ne s’est-elle pas, là, envolée, elle avait toute la place pour le faire dans cette atmosphère minimaliste-répétitive ?
  • Le temps qui passe (suite) : nous rappelle le trio d’Esbjörn Svensson … un des morceaux le plus expressif de l’album avec le saxophone qui, de temps à autre, se joue d’au-dehors de l’harmonie (les out comme on dit dans le jargon), ouf ça fait du bien a contrario de l’improvisation structuralisée et consonante permanente.
  • La Mélodie du Bonheur : un peu plus rythmée … un autre espace pour la batterie qui semble être à nouveau en-deçà du piano durant son solo (??).
  • Entre rêve et Réalité – très belle ballade à la mélodie diffractée en pertinents sauts intervalliques … toujours nordique dans l’esprit et la couleur tel un Jacob Karlson dans ses moments introspectifs débranchés (oui cela peut lui arriver).
  • En attente : encore plus que Le temps qui passe (suite)cela nous rappelle à nouveau le trio d’Esbjörn Svensson … beau solo de contrebasse de Laurent Chavoit mais pourquoi aussi court palsambleu ?? … là aussi, nous ressentons que la batterie souhaite dialoguer plus « sauvagement » avec le saxophone mais contraint tous deux par nous ne savons quoi.
  • Let’s go : très belle thématique piano / guitare acoustique avec latéralisation gauche / droite donnant un bel effet d’espace … là oui – enfin – le vent du sud peut nous convoquer … très beau solo de guitare de Pascal Ségala.
Nous aurions aimé de temps à autre moins de présence harmonique afin de permettre des «décollages» improvisationnels plus conséquents car les soli sont à notre avis trop courts ne laissant que peu de place aux envols, espérant que le concert vivant leur fasse moult places élargies. Deux solistes sont peu représentés : la contrebasse et la batterie, dommage ces deux excellents musiciens ont des histoires à nous raconter. Le piano a, de manière permanente, une présence sonore plus intense par rapport aux autres instrumentistes, est-ce voulu au mixage, est-ce le parti pris de contrastes entre le pianiste-compositeur et les sidemen ?
En conclusion, des Vents du sud qui se dévoilent convergences esthétiques de latéralités états-uniennes et nordiques (influences, vous avez dit influere : pénétrer, se glisser, s’insinuer, se répandre) ! Sont-ce ces musiciens-ci qui en appellent de leur(s) sud(s) en convoquant l’ailleurs pour un partage sensible confraternel ? Quels souffles originaux ces Vents nous chantent-ils ? En tous les cas, ces musiciens-ci ne sont pas à l’ouest, ils maîtrisent parfaitement leur affaire !
Un très bel album qui se déguste en douceur, impérativement à découvrir avant le MT-5.