Nicolas Saez « En mi sitio » au Rocher de Palmer

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat.

Rocher de Palmer, Cenon le 6 janvier 2022

Et si on allait un peu au delà du jazz voir ce qu’il se passe ? Mais pas n’importe où, quelques chemins menant de celui-ci vers ce monde qui lui semble extérieur mais qui pourtant a depuis longtemps nourri certains de ses courants, le Flamenco. Cette connexion avait d’ailleurs fait l’objet d’articles passionnants et très documentés par Patrick Dalmace dans notre Gazette Bleue http://(https://lagazettebleuedactionjazz.fr/ ; mot clé : flamenco).

Nous voilà donc ce soir pour notre premier concert de cette année qui commence à nouveau un peu de travers… La salle 650 est assez vaste pour qu’une distanciation naturelle s’y installe, le public déjà timide en 2021 n’étant guère encouragé en ce moment à fréquenter les salles de spectacle. Mais nous serons assez nombreux pour faire résonner les applaudissements et les vivas que mérite le spectacle. Spectacle oui, encore mieux que concert. « En mi sitio », à ma place, tel est le nom de ce projet du guitariste Nicolas Saez. Une musique qui a déjà quelque temps mais qui méritait cette mise en lumière et ce raffinement supplémentaire travaillés les jours précédents en résidence au Rocher de Palmer, le lieu de toutes les musiques ou presque.

Quand les deux guitares de Nicolas Saez et Alberto Garcia débutent le concert et que progressivement apparaissent en ombres chinoises de deux danseuses le climat se réchauffe, nous ne sommes plus en France, mais en Andalousie. Les danseuses ce sont Léa Llinarès et Sabrina Romero cette dernière rejoignant ses percussions, assise sur un cajón, le violoniste Nicolas Frossard et le bassiste Julien Cridelause. Il faudra attendre un peu pour ne voir autre chose que l’ombre de Léa, notre patience étant grandement récompensée. Les lumières, jusque là intimes, dévoilent alors un tableau complet de la scène, superbe. Bravo à l’ingénieur lumière Jean-Philippe Villaret.

L’apport des percussions de Sabrina – elle y excelle – notamment ce son profond ou sec du cajón, apporte indéniablement de l’ampleur à la musique surtout pour un amateur de rythme comme moi. La basse est en soutien, les guitares – rien a voir avec le swing manouche je tiens à préciser – chantent et quand le violon prend des libertés, dialoguant avec elles ou leur répondant on sent arriver une vraie touche de jazz, l’improvisation, le partage. Certes le fond de la musique reste résolument flamenco avec respect, avec la précision que cela nécessite, les breaks, les nuances, les changements de tempo mais il y a de temps en temps une patte jazz qui n’est pas pour me déplaire. Je me prendrai même à penser que souvent cela groove ! Et il suffit de constater que Nicolas est obligé de réaccorder sa guitare après chaque titre pour comprendre que ça ne joue pas à la légère…

Cette musique c’est Nicolas Saez qui l’a composée, allant puiser dans les racines andalouses de sa famille paternelle. Ce flamenco qui est un peu le blues des Espagnols, une musique mais aussi une culture, une histoire. Attention, on est loin des cabarets pour touristes de la Costa del Sol, pas de fioritures ici, pas de folklore artificiel, pas plus de jobi que de joba, mais de l’authenticité, de la beauté à l’état pur.

Quand Léa Llinarès, le noir de sa tenue rehaussé de la blancheur de son boléro, entre en scène nous voilà dans une autre dimension, le côté esthétique déjà bien réussi du spectacle prenant un tour dynamique. Voilà un zapateado, cette danse rapide, vive, rythmée, les talons claquent, les bras forment des arabesques comme sur les murs de l’Alhambra, les palmas jaillissent. La danseuse est portée par la musique, agile elle aussi, aux rythmes si complexes. D’ailleurs personne ne s’aventurera à taper des mains comme souvent dans certains concerts et tant mieux, taper à contretemps est impossible quand on n’a pas décodé le temps lui-même. Les yeux, les oreilles sont comblés, splendide. Voilà des baleriasces chants accompagnés de palmas. Léa revient dans une robe écran renvoyant les couleurs qui lui sont projetées, elle danse engageant un dialogue avec le chant d’Alberto – une des plus grandes voix de flamenco en France et au delà – c’est une histoire qui se raconte, avec de la séduction, de la sensualité, de la provocation, de la violence parfois, de l’émotion.

Ayant déjà vu en concert Nicolas Saez, dont la dernière fois en plein air et en journée, je peux confirmer que ce travail de mise en scène, de mise en lumière est un apport fondamental. Musicalement, moi qui ne suis pas particulièrement adepte du flamenco que je trouve parfois aussi sec qu’un verre de Fino, cette façon moderne et élégante qu’a le sextet de Nicolas Saez de s’approprier ce style sans le dénaturer est vraiment intéressante. Elle permet au grand public de s’initier à ces codes musicaux si particuliers.

Voilà déjà la fin, en rappel les six artistes lancent un jaleo, où de suite une joute s’engage entre Léa et Sabrina, danseuses merveilleuses et, ai-je encore le droit de le dire maintenant sans passer pour un malotru, aussi belles l’une que l’autre. Ce ne sera malheureusement qu’une ébauche de ce genre d’exercice qui enflamme les soirées andalouses.

Ce soir le Rocher de Palmer s’est fait Roca de Palmas, mais dehors c’est l’hiver…

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Et en cadeau une incroyable galerie des photos de Philippe Marzat :