par Philippe Desmond, photos Thierry Dubuc.

Le Rocher de Palmer, Cenon (33) le 11 avril 2018.

Un concert de Marcus Miller c’est toujours un événement, pour son passé, plus exactement son histoire, son adoubement de Chevalier par le Roi Miles, et son actualité, un album qui sort bientôt, en juin.

Pour un organisateur c’est toujours une valeur sûre, ce soir la 1200 du Rocher est archi pleine et depuis longtemps. Pour le public aussi c’est une valeur sûre, du travail de pro, des passages obligés mais toujours des surprises, ce soir notamment. Il le faut car Marcus Miller n’est pas rare, on se souvient du concert ici-même en avril 2015 pour la sortie du disque « Afrodeezia » et de la fantastique soirée au Saint Emilion Jazz Festival de 2016.

La première surprise n’est pas très bonne, c’est que ce soir il n’y a pas de guitariste, Adam Agati parti voguer de ses propres cordes. Il va parfois nous manquer. Mais heureusement et pour plagier James Brown et ses JB’s, ses fidèles MM’s sont particulièrement brillants : Alex Han au sax alto, Russel Gunn à la trompette, Alex Bailey à la batterie et Brett Williams aux claviers.

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Déjà trois ans que l’album « Afrodeezia » est sorti et donc un autre en cours de finition « Trip Trap » dont on va entendre quelques extraits ce soir. Mais avant et après une intro funk hip hop, voilà que revient « Papa Was a Rolling Stone » des Temptations et de la Motown nous précise Marcus, comme si on l’ignorait. Encore ! vont dire certains, dont moi, il pourrait se renouveler. Mauvaises langues que nous sommes, cette version ne ressemble en rien à celle de l’originale bien sûr, ni à celle d’Afrodeezia, ni à celles des derniers concerts. Une fois la légendaire ligne de basse installée, c’est dans le monde du jazz qu’ils vont nous amener, une trompette davisienne, un clavier délicat, du cool bop d’une élégance inouïe. Retour du riff de basse pour emballer le tout, Marcus charriant le batteur qui joue en dedans – gag – pour démarrer tel une locomotive, finissant à toute vapeur avec 4 baguettes ! Superbe et plus d’un quart d’heure passé comme un instant.

Voilà un autre tube, « Detroit » et le slap inimitable – de plus en plus imité quand même – de Marcus, ce son funky sautillant qui est sa signature. Un beau tête à tête sax basse pour une version étirée elle aussi jusqu’à son paroxysme.

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Je reste plus sceptique sur l’entame de « I Love You Porgy » de Gershwin et sa mélodie jouée à la basse, ici Adam Agati me manque mais le reste du morceau, une belle ballade, va nous confirmer que ce groupe peut jouer aussi dans la finesse.

Voilà le morceau titre du prochain album, « Trip Trap », encore un truc qui devrait marcher avec un groove qui vous attrape facilement. Le groupe se retrouve vite en trio piano, basse, batterie ; classique ? Tu parles, déjà la basse n’est pas contrebasse et elle est devant, la revanche d’années d’ombre au fond ! Et ça sonne bien différemment. Voilà les deux soufflants qui reviennent sur scène pour se chacailler avec fougue et tout se remet à ronfler en se gonflant d’énergie.

« Sublimity » nouveau titre pour enchaîner ; le mot n’existe pas dit Marcus mais je suis musicien alors je fais ce que je veux ! Tout ça en Français qu’il maîtrise très bien, il lit chaque jour un journal dans notre langue pour s’entretenir a t-il avoué un jour. Jolie mélodie tournante, ça devrait plaire ça aussi.

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« Hylife » et son timbre presque afrobeat et un groove de basse implacable du maître Marcus ; c’est finalement dans ce registre que je le préfère plutôt que dans ses démos certes spectaculaires et je crois sincères. Le titre va atteindre des sommets. Les musiciens sont vraiment excellents et leur stabilité autour du sympathique Marcus est un gage d’unité.

Séquence émotion avec l’évocation de son père disparu il y a trois semaines. Père pianiste, fils de prêcheur pianiste lui aussi, qui rêvait de devenir musicien classique professionnel mais a sacrifié son destin pour élever ses deux enfants ; il conduisait les trains. A 15 ans Marcus est devenu pro s’interrogeant sur la satisfaction de son père dans ce choix. La réponse lui a été donnée à l’âge de 21 ans lors d’un de ses premiers concerts avec Miles Davis, son père présent dans la salle tout de blanc vêtu rayonnant de fierté. Il faut dire aussi qu’un de ses oncles avait déjà lui aussi joué avec Miles bien plus tôt, Wynton Kelly. En hommage à son père donc voilà « Preacher’s Kid » joué à la clarinette basse par le fiston ; et oui, il a commencé par cet instrument. Orgue, cuivres célestes qui ont dû résonner jusqu’au ciel.

Mais ces accords suggérés à la clarinette basse on les connaît, ils nous rappellent quelque chose, le public a compris, s’agite, applaudit, voilà « Tutu » le passage obligé, le titre avec lequel tout a décollé. Il va le jouer samba ce soir, avec l’aide des claps du public, presque second line par moments, mais avec quand même l’ombre et le son de Miles qui rodent. C’est ça les grands, on va les voir, les revoir, on se dit que bon on sait à quoi s’attendre, qu’on y va quand même, que sur les 1200 personnes il y aura de toute façon des copains et des copines avec qui boire une bière…et on se fait embarquer, surprendre, scotcher au plafond. Marcus Miller c’est la grande classe et la classe des grands.

C’est chaud dans la salle, une chaleur étouffante tant la foule est dense et danse, double rappel avec notamment « Blast » impossible de l’oublier ! C’est fini, jusqu’à la prochaine fois.

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Les copains et les copines sont là alors cette bière on la boit quand même ? C’est la fête, le sourire de Marcus Miller est communicatif.

En première partie nous avons découvert Tiwayo* un vrai songwriter blues-folk, en solo derrière sa guitare, une voix très particulière, me faisant penser à Sixto Rodriguez. une belle présence et une réelle personnalité qui l’ont fait remarquer du label Blue Note – rien que ça – avec qui il va bientôt sortir son premier album.

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Français ayant tourné pas mal aux USA, dans les bars, les clubs, il se produit actuellement dans la tournée de Marcus Miller et a récemment fait les premières parties de Norah Jones et Seal à la salle Pleyel… Il était seul hier mais il est souvent accompagné de deux choristes qui donnent encore une autre dimension au projet.

*la prononciation en anglais de l’acronyme « TYO » de son surnom dû à sa voix et son style : « The Young Old »

BIO

NB : toujours le regret de voir la prise de photos contingentée, ici les deux premiers titres seulement…