Madeleine Peyroux à l’Auditorium de Bordeaux

par Philippe Desmond

Auditorium de Bordeaux, lundi 20 février 2023

Madeleine Peyroux mène une belle carrière depuis son premier album « Dreamland » en 1996. En 2004 elle élargit son auditoire avec l’album « Carelesss Love » où elle reprenait Leonard Cohen et son fameux « Dance me to the end of love », Hank Williams et des standards rendus célèbres par Billie Holiday, Josephine Baker… Ce disque est ressorti en 2021 en version deluxe augmenté des titres enregistrés en public au festival de jazz de Vitoria-Gasteiz au Pays Basque espagnol ; 26 morceaux et près de deux heures. C’est sur ce répertoire qu’elle est annoncée à l’Auditorium de Bordeaux.

Ce soir elle est accompagnée de Jon Herington (guitare), Andy Ezrin (piano, orgue, synthé), Barak Mori (contrebasse) et Graham Hawthorne (batterie).

Difficile de classer Madeleine Peyroux dans une catégorie bien précise comme on aime le faire, annoncée dans la programmation jazz de l’Opéra de Bordeaux, elle vagabonde aussi dans bien d’autres styles, du folk, de la chanson, de la poésie, de la pop. Je choisis à dessein le vagabondage car avec son look un peu hippie, sa guitare en bandoulière et sa fausse nonchalance, on est loin d’un tourbillon, on prend son temps. Elle chante, nous dit-elle au début du concert, l’amour, le blues et les drinking songs ; trois titres cool, les musiciens effleurent leurs instruments, elle ne lâche pas encore sa voix ; le fera-t-elle d’ailleurs ? Mais voilà un premier titre de l’album « Careless Love », « Don’t wait too long » et sa rythmique accrocheuse, le concert, ou plutôt le tour de chant, démarre vraiment, le jazz s’installe tranquillement, quelques chorus pointent leur nez. Elle nous offre un titre inédit pas encore gravé puis une surprise, « Voir un ami pleurer » repris du dernier disque de Jacques Brel – je l’ai vu en concert, j’avais 9 ans et je m’en souviens encore – musique minimaliste, émotion de cette voix haute et claire légèrement voilée ; cette femme respire la douceur, la chaleur humaine.

Voilà peut-être sa reprise la plus célèbre, empruntée à Leonard Cohen « Dance me to the end of love », titre attendu pas tous ; on y retrouve sa façon un peu paresseuse de chanter sur un tapis de swing léger. Un petit tour en Bossa Nova avec « Agua de beber » aux di ba dou da repris doucement à son invite par le timide et – trop – bien élevé public du lieu. Les titres sont courts, s’enchaînent sans vraiment de transition sinon des commentaires sympathiques de Madeleine dans un très bon Français, celui marqué de l’accent américain de sa compatriote Josephine Baker à qui elle emprunte « J’ai deux amours » , tout doux, tout doux, dans une version très personnelle.

Peut-être pour la première fois du concert, on entend claquer la caisse claire jusqu’ici balayée ou caressée des mains, c’est pour « Everything I do gonh be funky ». Un peu de country music – inclassable je vous dis – et encore une surprise ; Madeleine nous lit l’affichette qu’elle a sur la porte de son appartement de New York, l’appel de Coluche pour la présidentielle de 1981 ! Un texte qu’il serait impossible d’écrire à notre époque sans provoquer les foudres de cinquante associations ou communautés ! (voir en annexe). Rigolote notre chanteuse, sympathique pour sûr.

Le concert se déroule, tranquille, pas de cordes cassées, de peaux trouées, de tympans percés, de cheveux ébouriffés, c’est cool, moelleux comme une madeleine, jazzy avec maintenant « Careless Love » ce vieux standard des années 20 de W.C. Handy. Excellent.

En rappel deux titres avec pour commencer la mise en musique en duo de « Liberté » de Paul Eluard, ce beau texte écrit pendant l’Occupation et malheureusement toujours actuel. Joli moment.

Puis pour terminer, le quartet en liberté nous révèle – enfin oserais-je dire – le potentiel qu’on avait bien sûr deviné, les chorus sont plus longs, le talent est là.

Le public nombreux (c’est quasi complet) sort ravi, sous le charme de cette chanteuse qui, si elle n’a apparemment rien d’exceptionnel, sait partager avec lui ses émotions et sa sympathie.

Ce soir j’attendais Madeleine, elle est cette fois venue mais je repars seul par le tram, pas le 33, le A.

Prochains concerts de jazz à l’Auditorium de Bordeaux :

  • Vendredi 14 avril : Manu Katché « The Scope »
  • Samedi 22 avril : Yaron Herman
  • Lundi 29 mai : Avishai Cohen (cb) trio

https://www.opera-bordeaux.com/auditorium-national-opera-bordeaux

Annexe : l’appel de Coluche, si insolite ici !