Par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD
Thélonious Jazz Club, Bordeaux mercredi 22 janvier 2020.
Benoît Lamarque n’est jamais à court d’idées pour animer son Thélonious, ainsi depuis septembre il a mis en place, une fois par mois, une jam manouche.
Ah ce fameux jazz manouche dont même Bireli Lagrène a un moment nié l’existence trouvant qu’il avait fait passer les prouesses techniques avant la musicalité. Si le jazz est une façon de jouer la musique, le manouche est une façon de jouer le jazz. Et si le jazz est né à New Orleans comme le dit la légende, le manouche est lui né en France dans l’entre-deux-guerres, mélangeant la musique tzigane au swing et au musette avec la liberté d’improvisation du jazz. Figure de proue de ce courant, Django Reinhardt bien sûr, avec pourtant une carrière courte car disparu à 43 ans.
Le nom de la jam est ainsi « Swingin’ with Django » et pourquoi pas « Swinguons avec Django » puisque le manouche est né chez nous ? Ah cet Anglais envahissant !
C’est le trio Geoffroy Boizard (guitare), Robin Dietrich (guitare), Aurélien Gody (contrebasse) qui lance le concert. Trois magnifiques musiciens qu’on connaît bien, présents dans maintes formations et au talent reconnu.
Je sais que certains font la fine bouche devant les guitares petites ou grandes bouches justement, n’aimant pas la fameuse pompe manouche, cette rythmique percussive de cordes. Personnellement dès que ça commence je ne peux maîtriser mes pieds et si j’en écoute rarement en CD ou autre, j’adore ça en concert. Cette façon marquée de donner le rythme, transformant n’importe quel standard ou chanson en autre chose, ces solos de guitare où chaque note se détache, cette virtuosité qui effectivement si elle ne ne tourne pas à la démonstration technique est si attachante. Cela donne une musique souvent enjouée et parfois empreinte de mélancolie.
« Les Feuilles Mortes » à la sauce manouche se remettent à voleter, le thème du Parrain se met à parler moins bas, les « Nuages » sont signes de beau temps.
Le concert lancé avec verve va pouvoir maintenant s’élargir au bœuf prévu. Sauf qu’un bœuf c’est justement l’imprévu et ce soir ils ne seront que quatre à se joindre au trio initial. On a déjà vu plus ici, de l’accordéon avec Gaëtan Larrue, des guitaristes en veux-tu en voilà, du violon… Mais comme disait Boby Lapointe « de deux choses l’une, le violon ou tu joues juste, ou tu joues tzigane » alors pas de regret !
Trêve de plaisanterie, ce soir François Lacaze (guitare), Jérémy Teulade (qui jongle entre guitare et contrebasse), Eric « Rix » Delsaux (chant et guitare, une magnifique grande bouche) et Fabrice Mounier (clarinette) viendront assaisonner le bœuf à leur manière.
Content de revoir le dernier en pleine forme et très lyrique à la clarinette, qui lui aussi retrouve ses vieux potes Eric et Geoffroy avec qui il a joué il y a bien longtemps. L’apport de cet instrument au groupe est indéniable ajoutant cette sonorité chaude, tendre ou puissante, aux déferlements de cordes.
Autour du manouche on peut tout faire, même crooner comme Eric Delsaux sur « I can’t give you anything but love » dont le rythme va bien sûr s’emballer une fois la pompe lancée. Les bpm montent très haut !
Il en chantera d’autres comme l’éternel « Dynah ». De Django, entre autres, l’alerte « Artillerie Lourde » en final l’inévitable et attendu « Minor Swing » et « Joseph Joseph » (son frère lui aussi guitariste) en rappel. Curieusement pas de « Caravan » au programme.
Ne boudons pas notre plaisir, les vieilles querelles Panassié/Delaunay autour du Hot Club, c’est du passé. Il y a de la place pour tout le monde et tous les styles en jazz, c’est cette variété, cet éclectisme, qui en sont les atouts.
Alors allez écouter du jazz manouche de temps en temps, c’est une bonne thérapie contre la morosité ambiante. Du jazz sans tambour ni trompette !
Prochain bœuf, ou hérisson, le mercredi 19 février.
