Le blues des Antilles : Delgres au Rocher de Palmer

par Carlos, photos Christine Sardaine et Delgres

Rocher de Palmer, 23 octobre 2021

Me voici de retour au Rocher de Palmer un samedi du mois d’octobre. Je pense que c’est mon premier concert dans une salle depuis un bon moment (depuis le deuxième confinement peut-être ?) et surtout, mon premier événement sans masque, chose qui semble bizarre au départ mais qui devient rapidement un vrai bonheur. S’acheter une bière (je suis arrivé trop tard pour m’acheter un sandwich, aussi tant pis pour moi) et rentrer dans la salle qui, peu à peu, commence à se remplir d’un public assez varié, même si je suis étonné de trouver principalement des adultes d’entre 40-50 ans. J’aurais pensé que le public de Delgres serait plus jeune mais clairement je me suis trompé : “blues rock” et “créole” ne disent sûrement pas grand-chose aux jeunes trop habitués aux samples et aux morceaux bourrés d’auto tune.

La soirée démarre avec en première partie les Swing Twins, un duo guitare-batterie formé par deux jeunes jumeaux chevelus de Toulouse. Une musique crue comme on l’aime, aux guitares stridentes, aux batteries bien placée et puissante, lancée depuis la scène, rappelant bien évidemment les White Stripes, chauffe rapidement l’ambiance. Leur proposition est intéressante et le fait qu’ils échangent leurs instruments d’un morceau à l’autre pimente un show justement récompensé par les applaudissements du public. Une seule chose à leur reprocher peut-être : une voix qui semble trop se chercher encore, parfois trop britpop, parfois trop AC/DC… Quoi qu’il en soit, gardez un œil sur la carrière prometteuse des Swing Twins.

 

La première partie finie, j’ai le temps de me prendre une autre bière et me trouver la bonne place pour le prochain concert. Les lumières s’éteignent quand le groupe arrive sur scène.

Les mots semblent insuffisants pour décrire mon ressenti en écoutant Delgres jouer leurs premières notes. Cette force, cette puissance propulsée depuis la scène… ils sont comme un tourbillon prêt à tout emporter sur son passage lancé vers le public.

Ils commencent avec ce qui est pour moi, non seulement leur meilleur morceau mais surtout celui qui les représente le mieux : Mo Jodi. Ces riffs de guitare si typiques du blues, ce soubassophone qui leur donne cette profondeur si différente des autres groupes de blues, mais surtout la voix de Pascal. C’est la voix de Pascal qui change tout. Cette voix aux inflexions caribéennes récréé instantanément le lien, qui a toujours existé du reste, entre les Caraïbes et la Nouvelle Orléans. “ Mo Jodi ”, “ Mourir aujourd’hui ”, c’est le titre phare de leur premier album. C’est aussi un hommage à Delgres, Louis Delgres, qui s’est opposé à Napoléon au XIXème siècle contre le rétablissement de l’esclavage dans les Antilles.

Cette lutte pour la reconnaissance des peuples, de leur mémoire, fait partie intégrante de la proposition musicale de Delgres : des paroles engagées, chantées principalement en créole face à un public ne comprenant pas, pour la plupart, cette langue, Pascal avec son béret et son poing levé, qui n’est pas sans rappeler les Black Panthers… Leur proposition artistique est une revendication des droits des minorités.

La chanson terminée, Pascal prend son micro pour nous lancer depuis la scène : “ Mo Jodi pour la liberté… esclavage d’hier, esclavage d’aujourd’hui… finalement rien ne change sauf les apparences …” Un tonnerre d’applaudissement retentit pendant que le groupe se lance dans son deuxième morceau.

Pour la suite : bonne ambiance, une belle soirée en perspective. Le public chante en chœur “ laisse-moi aller, laisse-moi partir ”, ce puissant morceau de leur deuxième album “ 4am ”. Arrive le premier solo de soubassophone, cet énorme instrument ressemblant à un pachyderme dansant sur les riffs de guitare. Les gens deviennent fous en le regardant swinguer et jeter ses notes graves. Il me semble que jamais un soubassophone n’aura été aussi sexy que ce soir sur la scène du Rocher de Palmer…

Le morceau terminé, un changement d’ambiance s’opère, portée par une intro de guitare plutôt triste. “ Cette chanson est pour ceux qui ne reviendront pas “ nous lance le chanteur.

Par moment, j’ai l’impression d’entendre un grillon, par moment, on dirait un chaman entonnant sa magie depuis le fond de la scène. La chanson continue et les notes longues et profondes du soubassophones, terribles et puissantes comme un tremblement de terre, m’emportent avec elles…

“ Malgré ce qui nous tombe sur la tête, on est capable de se tendre la main. C’est ça notre humanité. Petite voix pour les migrants qui sont des personnes comme nous. ” Commence alors “ Assez, assez ”, un autre morceau de leur deuxième disque.

Le concert continue et je perds toute notion du temps. Je lâche mes notes et danse comme si le monde allait s’effondrer ce soir, porté et pourtant meurtri par la guitare…Une fois terminé le concert, le froid de la nuit nous réveille. J’ai faim et je suis fatigué, et pourtant plein d’énergie. La musique et les créoles de Delgres m’accompagneront désormais.