Ladies Night au Molly Malone’s
par Philippe Desmond
Bordeaux, dimanche 28 novembre 2021.
Avec cet article je prends un risque, parler d’un quartet uniquement féminin sans tenir de propos sexistes, d’autant que je me refuse à utiliser l’écriture inclusive. Certes les quatre musiciennes n’ont pas été réunies par hasard, leur genre a été un critère de choix, provocateur, taquin, humoristique ou alors carrément féministe militant ? Pour les connaître un peu je ne crois pas à ce dernier critère. Féministes bien sûr qu’elles le sont, toute femme devrait l’être, tout homme aussi d’ailleurs, je parle de sa forme sensée, non pas extrémiste. Avec ce Ladies Quartet elles montrent qu’elles sont là elles aussi, bien que minoritaires dans le milieu du jazz ; dans la musique classique ou la variété il en va tout autrement.
Machiste le jazz ? Peut-être, ou alors pas assez attirant quand on doit faire un choix musical après l’apprentissage. Mais regardez comment ça évolue rapidement, les femmes ne sont plus cantonnées au rôle de chanteuses, elles sont de plus en plus nombreuses à jouer d’un instrument autre que leurs cordes vocales, à composer et surtout à être reconnues. Je ne vous en ferai pas une liste, j’en oublierais trop et j’ai horreur de vexer les gens ; je ne dis pas seulement les femmes ce serait sexiste. D’ailleurs quelle est la différence à l’écoute entre une femme et un homme qui joue d’un instrument quand on ferme les yeux ? Et oui, aucune !
Ainsi hier soir, à l’image du Ladies quintet de Rhoda Scott, que j’ai eu le plaisir de voir et entendre au festival de Capbreton il y a quelques années, le Sophisticated Ladies Quartet avait investi la petite scène du pub irlandais Molly Malone’s de Bordeaux.
Quelques mots sur ce lieu. Tous les dimanches soir à 18h30 on peut y finir le week-end et y vaincre son blues du lendemain avec du jazz ; et bien sûr de la bière, du fish and chips, des burgers… et des amis. Rare de ne pas y rencontrer une connaissance avec qui partager le moment. C’est Rachael Magidson l’Américaine de la Rive Droite, poly instrumentiste et chanteuse, qui s’occupe de la programmation. On y retrouve la plupart du temps des hommes, sauf hier soir donc. Rachael est là avec son petit kit de batterie, sa trompette, un conga, sa voix et on retrouve avec elle Paola Vera pianiste, chanteuse et anglaise comme son nom ne l’indique pas, Shekinah Rodz la Portoricaine, chanteuse, saxophoniste, flutiste, percussionniste (pas ce soir) et une nouvelle venue dans cette formation qui existe depuis quelques années avec des variantes (*), Léonie Hey contrebassiste allemande désormais médocaine. Concert international donc dans un bout d’Irlande en plus, même pas besoin de se déplacer en ces temps compliqués. Si les trois premières se connaissent et on déjà joué ensemble, la dernière venue n’a même pas pu répéter avec elles. Certes les partitions lui sont parvenues quelques jours avant et miracle du jazz, de ce langage commun, cette absence de répétition ne va pas se voir, quasiment pas pour être honnête.
Le langage commun ce sont les standards matière inusable ouverte à toute les adaptations. Le « Softly as in a morning sunrise » va ainsi prendre un coup de pied au fesses, joué sur un tempo pas très softly justement ! Quelle dynamique ce quartet, elles s’entendent comme larronnes en foire. Avec Shekinah, sa voix, son lyrisme à la flûte, son punch au soprano ou à l’alto, c’est toujours un grand moment. Le groove de Rachael, debout devant sa caisse claire, un tom médium et une seule cymbale, est terrible, en plus avec des balais. Non je ne ferai pas une vilaine blague avec les balais aux mains d’une femme. Paola au clavier électrique, tantôt piano, tantôt Fender Rhodes n’est pas avare de longs chorus et avec une franche attaque des touches. Quant à Léonie, une fois sa contrebasse rendue audible derrière ses trois collègues déchainées, elle va imposer sa rythmique, se lançant aussi dans des chorus intrépides. Fermons les yeux, ce qui ce soir est dommage – ça commence – qui peut dire que ce sont des femmes qui jouent ? « Little Sunflower » tout en légèreté, « Summertime », « God bless the child » merveilleusement chanté par Shekinah, fille de pasteur aux USA et qui a baigné dans le gospel depuis sa naissance… Une parenthèse de chansons françaises, « La chanson d’Hélène » toujours aussi bouleversante, Des « Feuilles mortes » très latinas, « Quand on a que l’amour » toujours aussi mélancolique et, surprise, « Il est 5 heures Paris s’éveille » mais, dommage, sans la flûte ; pourtant il y en avait une sur scène. Retour au jazz où le quartet s’exprime avec plus de verve – Léonie a les doigts qui brûlent – de terribles unissons de trompette (Rachael) et sax ténor (Shekinah), Dominique, une cinquième dame sur scène pour chanter un blues et final sur la « Route 66 » pour rentrer à la maison.
En dehors du côté anecdotique – peut-être pas tant que ça – de la composition féminine du groupe, c’était un vrai concert de jazz, de près de deux heures en plus, avec sa variété musicale, ses improvisations, ce plaisir partagé des musiciennes avec le public – moins nombreux que d’habitude, effet rebond du covid oblige ? – cette ambiance de club, vivante, bruyante parfois. Et pas une seconde d’ennui, ce qui n’est pas toujours le cas…
* Nolwenn Leizour (contrebasse), Laure Sanchez (contrebasse), Emilie Calmé (flûte), Valérie Chane-tef (piano)
- Molly Malone’s dimanche 5 décembre 2021 à 18h30 : Anna Majidson Jazz set (AM chant, Thierry Lujan guitare, Serge Moulinier piano)