Par Philippe Desmond

Auditorium de Bordeaux, samedi 8 février 2020.

Quartet :

Jean-Marc Montaut: piano

Nolwenn Leizour : contrebasse

Marie-Hélène Gastinel : batterie

Yann Pénichou : guitare

Invités :

Lucienne Renaudin-Vary : trompette

Marius Preda : cymbalum

Thibault Cauvin : guitare

L’article précédent nous avait conduit à la répétition dans une pièce d’un centre culturel installé dans un hôtel particulier bordelais, ce soir on change de siècle et d’échelle. Le volume de la moderne salle de l’Auditorium est énorme, la scène paraît presque trop grande pour le septet que nous attendons. On affiche complet, la notion de complet ici étant assez particulière, des places restant libres à chaque fois. Bon à savoir, il y a généralement des billets à vendre au guichet le soir-même, tentez votre chance.

Le public ici – en grande partie des abonnés – voit du jazz de temps en temps, la programmation penchant plus vers la musique classique, ça va se ressentir au début, la salle restant silencieuse après les premiers chorus, loin des codes en usage. Mais si finalement au lieu des applaudissements systématiques on ne gardait que les spontanés, ceux qu’on ne peut pas retenir devant l’émotion provoquée ? A mon avis c’est ce qui arrivera ce soir là après le premier beau solo de Nolwenn Leizour.

Pour un habitué comme moi des lieux de jazz plus intimes, le début du concert est bizarre, obligé de tendre l’oreille, le niveau sonore étant plus bas que de coutume. Certes il montera, ou mon oreille s’habituera, mais le Steinway de concert et le cymbalum auraient mérité quelques décibels de plus.

On l’a dit dans l’article précédent, le répertoire est consacré aux comédies musicales – avec quelques petits crochets vers des BO de films – mais Jean-Marc Montaut et ses complices – baptisés « Flying Carpet quartet » par Marius Preda à cause du tapis de contrebasse particulier de Nolwenn – n’ont pas choisi les plus courantes. Tant mieux, pour moi en tous cas, tant pis peut-être pour d’autres qui s’attendaient à une pluie de tubes ; j’ai bien senti les murmures de satisfaction quand il a annoncé un titre tiré de West Side Story. Les concerts c’est aussi fait pour découvrir, être étonné, on va l’être.

Jean-Marc Montaut dans sa présentation pleine d’humour va vite donner le ton de la soirée, de la musique mais dans la bonne humeur, rien de guindé.

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Le quartet attaque, bourré de swing, avant d’être rejoint par l’étoile montante Lucienne Renaudin Vary à la trompette. Quel plaisir de voir et entendre une telle artiste qui depuis ses débuts pas si anciens, arrive à concilier classique et jazz. Vêtue comme une rockeuse, elle danse, elle gigote en jouant, tenant la plupart du temps son instrument d’une seule main, l’autre étant ainsi libre pour marquer le tempo ou… se recoiffer. Attitude …décoiffante pour les puristes de l’auto-proclamée Grande Musique me dira t-elle. Quel bonheur cette fraîcheur et cet éclectisme musical. Sortie des partitions à suivre au cordeau, elle a déjà les codes de l’improvisation, en profitant après ses concerts classiques pour aller faire le bœuf avec les jazzmen locaux. Elle doit jouer bientôt avec Hugo Lippi, Laurent Coulondre, Thomas Bramerie… Sur le tempo fou de « Get Happy » pas d’hésitation, elle assure d’un son chaud : « tu parles d’un cadeau » a t-elle pourtant dit en riant à la répétition !

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Voilà Marius Preda maintenant pour une jolie ballade d’Henri Mancini et la découverte pour beaucoup de cet instrument bizarre (pour nous) qu’est le cymbalum ; dialogue avec le piano de Jean-Marc, chorus de triples croches et ce son si particulier qui colore la musique. Amusant de voir les autres musiciens boire ses notes avec admiration. Il nous éblouira maintes fois dans la soirée. Époustouflant !

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Mais n’oublions pas le quartet, c’est lui le guide du concert. Les arrangements ont été fait de façon collégiale à partir des idées de Jean-Marc Montaut et le groupe fonctionne à merveille. Jean-Marc on connaît ses qualités de pianiste, ce toucher élégant et lyrique mais c’est aussi un formidable arrangeur. Et pour ce soir avec ses compères il s’en sont donné à cœur joie, métamorphosant la plupart des titres.

Nolwenn Leizour est une référence à la contrebasse, très demandée et bien éclectique, aussi douée pour les tempos lents et légers que pour des walking bass bien musclés. Elle arrivera à maîtriser et dissimuler un ennui technique de capteur micro presque tout le long du concert.

Yann Pénichou lui aussi sait tout jouer, tout arranger, jamais dans la démonstration, il a un son jazz tellement agréable et une virtuosité discrète et juste. La présence de sa guitare éclaire de douceur le quartet.

Ces trois derniers musiciens je les connais bien davantage que Marie-Hélène Gastinel certes déjà entendue mais sur des musiques moins sophistiquées. Ce soir je la découvre dans un rôle très en avant, lançant par des solos certains titres, les animant par un drumming alliant délicatesse, avec les balais notamment, et fougue sur des tempi rapides. Elle nous offrira des chorus époustouflants et animera à la fin « l’atelier » batucada sur un rythme effréné ; jolie trouvaille que ce passage où tous se regroupent avec des percussions, Thibault Cauvin compris.

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Et oui il y a donc aussi Thibault Cauvin ce soir. Il nous offrira deux intermèdes en solo. Rendez-vous compte de la chance, du luxe, Thibault Cauvin qui assure les intermèdes !!! Que dire ? Que l’écouter, le voir jouer est un plaisir extrême. Musicalité, raffinement, élégance, tant de choses pour qualifier son jeu. Il paraît presque étonné d’être parmi ces jazzmen, lui à qui Yann Pénichou a donné la veille quelques clés pour improviser. « La première fois que je joue des notes non écrites » nous dira t-il avec son sourire lumineux. Il se joindra avec gourmandise au groupe au complet pour les derniers titres et mettre en pratique son nouveau savoir.

Et comment ne pas évoquer la version bossa nova de « Singin’ in the rain » ou plutôt « Whistling in the rain » , Jean-Marc et Lucienne s’y répondant en sifflant, un bonheur.

Soirée très gaie, surprenante, unique. En effet si le quartet compte bien jouer à nouveau ce répertoire – programmateurs n’hésitez pas – je doute que les mêmes invités, qui parcourent le monde, puissent faire partie de l’aventure. D’autres peut-être…

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Article précédent : https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/jean-marc-montaut-4tet-guests-1-repetition/

Répertoire :

  • On Broadway : dans « All that jazz »
  • Watch what happens : ou « Récit de Cassard » de Michel Legrand dans « les Parapluies de Cherbourg »
  • Promises promises : Burt Bacharach dans « Promises »
  • Get Happy : chanté par Judy Garland dans « La belle fermière »
  • Whistling away the dark : de Henri Mancini dans « Darling Lili » de Blake Edwards
  • Pure Imagination : dans « Charlie et la chocolaterie », celui de 1971
  • Un jour de novembre : de Leo Brouwer dans « Un dià de noviembre » de Humberto Solàs
  • Playing the fields : de Michel Legrand dans « l’affaire Thomas Crown »
  • One hand, one heart : de Leonard Bernstein dans « West Side Story »
  • Fascinating rhythm : G & I Gershwin dans « Lady be Good »
  • Solo de Thibault Cauvin
  • I got rhythm : G & I Gershwin pour « Treasure Girl » et « Girl Crazy »
  • Lover, come back to me : par Oscar Hammerstein pour « The new moon »
  • Singin’ in the rain : par Nacio Herb Brown pour « Singin’ in the rain »
  • Batucada
  • Supercalifragilisticexpialidocius (ouf!) : des frères Sherman pour « Mary Poppins »
  • Les Moulins de mon cœur : par Michel Legrand pour « l’Affaire Thomas Crown »

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Discographie :

 

Carte AJ