Festival Jazz à La Rochelle Jours 1 & 2

Jeudi 12 octobre 2023 : Chansons

Après le traditionnel apéro concert qui débute chaque soirée du Festival Jazz à La Rochelle avec, Bastien Weeger (saxophone alto), Antoine Guillemette (basse), Johan Barrer (batterie), c’est la chanteuse américaine Kendra Morris qui ouvre la 26ème édition.

Auteure, compositrice, chanteuse originaire de Brooklyn, elle clôture une tournée européenne de 15 dates, dont une bonne partie en France, Espagne, Belgique, Pays-Bas et Royaume Uni.

Accompagnée d’un trio batterie, basse, guitare sobre mais efficace au son 70’s, le décor sonore laisse une large place à la voix puissante, chaude et inspirée de l’artiste.

Énormes lunettes cerclées acier, casquette panthère et tailleur pantalon vert à manches courtes, le look est résolument assumé lui aussi. Sa silhouette juvénile et ses tatouages cachent bien les 42 ans de la musicienne qui présente ici son 5ème album.

Qu’elle s’accompagne à la guitare, ajoute sons et effets ou agite son tambourin, Kendra déborde d’énergie et son style assez rock embarque facilement le public.

Tendre et mutine, puis plus sauvage et délurée, elle expose ses compositions rhythm and blues aux influences soul, très musicales et accessibles.

Sur un titre interprété a capella elle reçoit le soutien vocal des 3 musiciens parfaitement à l’aise dans cet exercice. On sent qu’ils en ont sous la pédale et lâchent par moments quelques brefs solos au milieu des titres assez courts qui montent en intensité au fur et à mesure du concert

C’est en place, ça groove, même sur les balades ; c’est une bonne entrée en matière pour une soirée dédiée à la chanson et visiblement, le public venu en nombre est séduit.

Billy Valentine, allure impeccable, très classe dans son costume noir, casquette et chemise noires, arrive sur scène accompagné de ses 4 musiciens, Graham Harvey (claviers), Terry Lewis (guitare), Ernie Mckone (basse), Crispin Taylor (batterie).

A 73 ans, le chanteur Billy Valentine enregistre en 2021 son 1er album solo « Billy Valentine & The Universal Truth », perpétuant ainsi l’héritage soul-jazz militant américain des années 60-70.

Billy Valentine fait partie de cette génération d’artistes méconnus voire oubliés (surtout de ce côté ce l’Atlantique) qui a connu la longue lutte pour les droits civiques dans le sud des États-Unis. Pianiste, compositeur et chanteur, William A. Valentine de son vrai nom, a longtemps travaillé dans l’ombre des grands noms du R&B, de la soul et du jazz comme Ray Charles et les Neville Brothers et en duo avec son frère (The Valentine Brothers a sorti la chanson Money’s too tight to Mention reprise plus tard par Simply Red).

L’album est enregistré après la pandémie Covid et sous la présidence de Donald Trump, deux périodes qui ont réveillé les vieux démons d’une Amérique inégalitaire. Billy Valentine s’y est offert un casting de luxe dont le trompettiste Theo Croker, la bassiste Linda May Han Oh (vue auprès de Pat Metheny), le percussionniste Alex Acuña (sideman d’Al Jarreau et d’Herbie Hancock notamment…) la star des claviéristes américains Larry Goldings, le bassiste Pino Palladino (complice de Philippe Saisse, Simons Philipps ou Manu Katché).

Le set débute par « Lady Day & John Coltrane » de Gil Scott-Heron, puis « You haven’t done nothin’ » de Stevie Wonder ; les mélodies sont connues, reconnues et immédiatement fredonnées par les spectateurs. Suivent les titres forts du projet, tels que « We the people who are darker than blue » de Curtis Mayfield et « Sign o’ the times » de Prince, mais aussi « Money too tight to mention » (créé par les Valentine Bros), « Georgia » de Ray Charles, « The creator has a masterplan » de Pharoah Sanders, « Wade in the water » de Ramsey Lewis, ou encore « A change is gonna come » de Sam Cooke. Ponctuant ses chansons de quelques mots sur sa carrière et la genèse de son projet tardif, Billy Valentine séduit l’auditoire. Sans artifice, au seul son de sa voix puissante et habitée, la fabuleuse présence scénique de Billy Valentine captive le public à chaque titre et l’émeut note après note.

Partageant son plaisir d’être sur scène avec ses musiciens et le public il échange, communie, en toute simplicité et humanité ; il nous cueille littéralement et on reste sous le charme, même bien après le show.

A l’américaine, les arrangements et les chorus des 4 vieux routiers sont impeccables d’efficacité et de musicalité. C’est net, c’est rodé, c’est élégant, c’est la grande classe ; personne ne peut résister à son charisme et la salle en redemande. En rappel, la reprise de « What’s going on » de Marvin Gaye résume à elle seule cette soirée découverte, engagée et mélodieuse. Debout, le public acclamant ce grand artiste en aurait bien repris un peu plus.

Vendredi 13 octobre 2023 : Voyages

Étienne Manchon (piano, Fender Rhodes), Clément Daldosso (contrebasse), Théo Moutou (batterie) auront assuré l’apéro concert de 19H00 de ce vendredi avant d’être embarqués pour un set sous le signe du Voyage.

Pour cette seconde soirée du festival, les « Laurent » sont à la fête !

Le projet « Mundo » de Laurent Salzard

Des bassistes gauchers, il n’y en a pas beaucoup. Celui-ci est natif de La Rochelle ; ce n’est donc pas Sir Paul McCartney, mais un artiste complet au talent indéniable qui nous fait découvrir son « Mundo ».

De grands noms ne s’y sont pas trompés, tels que Ed MOTTA, Tony ALLEN, Sly JOHNSON, Emmanuel BEX ou encore China MOSES qui ont déjà fait appel à son jeu métissé.

Laurent Salzard (basse électrique, acoustique fretless, compositions), Yann Cléry (flûte), Cédric Hanriot (piano), Minino Garay (batterie, percussions) présentent ce soir les titres du projet « Mundo ». (Cf. chronique de Martine Omiécinski parue le 28/02/2023 dans la Gazette bleue https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/laurent-salzard-mundo/).

Après un premier morceau acoustique, le quartet envoie une salsa « caliente » qui offre une belle conversation piano flute et un solo de percussions ébouriffant. Le titre « Ojos » pousse le voyage jusqu’en Argentine sur un rythme de Chacarera où Laurent prend un chorus souligné par le percussif argentin Minino.

« Derviche tourneur » poursuit le set ; sur le thème joué ostinato à la flute, un brin oriental, les facéties rythmiques nous mettent en transe.

La flute, très présente dans le projet, s’adapte à tous les styles. Un morceau, sans titre pour l’instant, clôture le concert avec une jolie mélodie sur une rythmique façon biguine un peu rapide.

Un premier set tout en finesse ; on voyage d’Amérique du Sud à l’Afrique en passant par les Caraïbes, de façon aérienne et voluptueuse. Les mélodies sont fines, originales, inspiratrices. La présence et la vélocité du jeu de Yann Cléry à la flute donnent de l’élégance et de la légèreté à l’ensemble. Le piano de Cédric Hanriot, sobre et mélodique se cale sur les illustrations rythmiques du grand Minino Garay, tout en subtilité. Laurent Salzard, généreux et altruiste, met en avant ses merveilleux compagnons de scène ; ils servent avec brio ses compositions originales et de toute beauté.

Laurent Coulondre « Meva Festa »

La bière de la mi-temps à peine coulée que le second set démarre pied au plancher avec l’octet haut de gamme du soir conduit par Laurent Coulondre (piano, claviers) ; Christelle Raquillet (flûtes), Lucas Saint-Cricq (saxophone alto, baryton, flûte), Nicolas Folmer (trompette, bugle), Cyril Galamini (trombone), Léo Chazallet (basse), Ruy Lopez Nussa (batterie) et Minino Garay (percussions). Cette joyeuse bande vient présenter en live le dernier projet studio de Laurent (Meva Festa) sorti en 2022. Cf. chronique et interviews dans la Gazette bleue https://lagazettebleuedactionjazz.fr/laurent-coulondre-3/)

Le set débute par « Agua bon ». Porté par l’énergie de la grosse machine, Laurent, le patron, se lâche sur le clavier Nord stage avec un bon son electro… Il est totalement déchainé.

Le collectif poursuit avec « Meva festa », titre éponyme de l’album puis avec « Laura ». Chanteuse et compagne de Laurent Coulondre, mais absente pour l’occasion (pour cause de pénurie de nounou !) ; elle a inspiré une belle ballade romantique qui glisse en salsa lente avec Nicolas Folmer et Minino Garay en chorus. « Memoria », titre écrit par Laura (encore elle !) poursuit le concert et se termine en version brésilienne avec une série de chorus de flûte décoiffants.

Pour faire redescendre un peu la fièvre latina qui s’est emparée de la Sirène, Laurent nous embarque vers « Isla perdida », une jolie ballade qui débute par une intro percussions et batterie.

Chaque titre est l’occasion pour Laurent de narrer quelques anecdotes et la genèse du projet ; « Piment doux », évoque sa rencontre avec une des spécialités culinaires de Guadeloupe ; une compo qui ne manque pas de piquant et qui finit en véritable battle piano-trombone.

« Wild life », inspiré du vivant, propose tout autre chose. Piano électrique, basse slappée, batterie à contretemps… quel kif rythmique. Laurent s’amuse tour à tour au piano, synthé, Fender Rhodes… c’est vraiment sa fête.

Après « El Jonito » (sorte d’hommage humoristique à la ville de Rosny sous-bois), le groupe enchaine avec un rappel composé par Lyle Mays « Choriniño » qui met encore en lumière la géniale Christelle Raquillet à la flute… clin d’œil certain à Michel Petrucciani auquel Laurent a consacré un bel hommage sur un précédent CD.

Un autre voyage vient de s’achever avec cet octet haut en couleurs, d’une énergie différente du premier set, mais tout aussi captivante. Ça joue, on danse, ils rient, nous ressentons et on participe à la communion de cette bande de bons copains, heureux d’être ensemble et prenant tant de plaisir à jouer.

Signé NN et Vince, photos Philippe Blachier