Eric Séva « Triple Roots » aux Jeudis du Jazz
par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat
Jeudis du Jazz, Créon le 21 décembre 2023.
« Je n’ai pas le sentiment d’appartenir à une musique mais d’être inspiré par toutes les musiques dans un besoin constant d’tinérance sonore. Qu’elles soient savantes, populaires ou traditionnelles, ces musiques nourrissent un nomadisme artistique, dont l’écriture et l’improvisation sont le fil rouge de ces conversations que j’aime partager avec le public ». Voilà comment Eric Séva s’adresse à nous dans la jacquette de l’album « Résonances », principal objet du concert de ce soir, avec sa formation baptisée Triple Roots.
Il est en trio ce soir pour un des traditionnels Jeudis du Jazz de l’association Larural qui se déroulent toujours la veille des petites vacances. Trop grande proximité de Noël due au calendrier scolaire de cette année, la salle est bien moins garnie que d’habitude alors que trois magnifiques musiciens sont sur scène. Eric Séva donc aux saxophones soprano et ténor, Bruno Schorp à la contrebasse et Karl Jannuska à la batterie.
C’est donc un voyage musical que va nous proposer le trio, de Belle-Ile avec « Luz de Port Coton » à l’Espagne avec « Les Roots d’Alicante » , en passant par des évocations du Brésil et des cerfs-volants des favelas avec « Pipa ». Dénominateur commun, le jazz et ses libres improvisations qui font de chaque concert un moment unique.
Dès le premier titre du côté de Port Coton sur une ferme ligne de basse et une batterie esquissée, c’est la douceur du soprano qui nous ramène sur la sérénité qui peut régner sur Belle-Ile. Apparait un paysage verdoyant pour enchaîner logiquement avec « Green Lanscape » sur une sorte de ronde menée par le saxophone ténor à la patine vintage ; parfaite unité du trio des rendez-vous précis, des relances, des nuances. On reste dans le vert, sur le vert même avec « Canopée », l’art de faire du beau avec peu de notes, douces, sensibles ; un fait exprès ou pas, la batterie est de marque Canopus… Cette batterie justement dans les mains et pieds de Karl Jannuska, épatant de sensibilité et de précision, presque davantage percussionniste que batteur ; il saura plus tard nous en montrer ses qualités.
Eric Séva de sa voix douce et bienveillante nous propose maintenant un standard, sa musique n’a pas de frontière « pas de préférence nationale, et ça nous va bien » nous glisse-t-il malicieusement ; c’est en effet « There is no greater love » dans lequel Bruno Schorp nous glisse un solo bien groovy. Il joue d’une contrebasse à la taille de guêpe, une Eminence électrique, qu’un de ses élèves lui a prêté pour venir de Paris en train. Rappelons que la SNCF n’aime pas les vraies contrebasses obligées de prendre elles aussi un billet et à tarif plein , même pas à tarif sénior alors qu’on les appelle « grands-mères »… Le son en est différent, moins de résonance, entre la basse électrique et la contrebasse acoustique. Pas du tout gênant ici, l’album initial de ce Triple Roots ayant d’ailleurs été enregistré avec Kevin Reveyrand à la guitare basse électrique. Beau drumming engagé mais nuancé de Karl, le sax ténor se faisant lui des plus soyeux.
« Les Roots d’Alicante » au-delà du thème très mélodieux, une sorte de valse, vont se développer par un trio de percussions, Karl bien sûr, Bruno sur la petite caisse de son instrument, Eric claquant quelques temps de sa bague sur son vieux Selmer. Mais c’est Karl qui aura le dernier mot pour un solo magistral où tout son talent va apparaître. Quand Eric nous précisera que c’est la première fois que Karl joue ce répertoire on en sera baba ; et on comprendra ses rires à la fin de chaque titre, une libération d’avoir réussi. « Une part de chance » me confiera-t-il, tu parles !
Le jazz d’Eric Séva est une musique d’atmosphère, de climats, les nuances y sont nombreuses, les parfums viennent de partout. Cela nécessite une écoute et ici à Créon, comme à chaque fois, celle-ci est parfaite, c’en est exemplaire. L’organisation y est aussi pour beaucoup, on mange avant le concert, surtout pas pendant ; quel confort et quel respect surtout pour les artistes.
Voilà un des désormais classiques d’Eric Séva « Le Village d’Aoyha » et son soprano lumineux. Changement de décor pour un voyage dans le « Train Clandestin » et sa rythmique ferroviaire au lent démarrage avant d’atteindre la toute vapeur pour un voyage risqué qui arrive en gare après avoir ralenti ; musicalement une difficulté pour le trio de synchroniser ces changements de tempo ; parfaitement réussie.
Duo sensible Eric et Bruno pour faire évoluer les cerfs-volants dans le ciel de Rio, puis « Crossroads » aux influences bretonnes, ou brésiliennes « je ne sais plus » admet Eric.
En rappel, évoquant sa jeunesse dans le dancing parisien de son père lui aussi saxophoniste où parmi tant de danses la valse musette, le blues français selon Toots Thielemans, se taillait une belle part voilà le légendaire « Indifférence » ; on danserait si on osait.
Toujours un grand plaisir de retrouver Eric Séva avec ses diverses formations. Il sera d’ailleurs en quintet le 19 janvier à Saint Jean d’Illac au festival Jallobourde ; projet « Frères de Songs »
Merci à Larural de proposer ces soirées, tous les styles de jazz y sont représentés et l’ambiance cabaret est des plus agréables. https://www.larural.fr/
Prochains Jeudis du jazz :
- Jeudi 15 février 2024 : Rix and Wonderland (formule cabaret)
- Jeudi 11 avril 2024 : Renaud Garcia-Fons « Les mille et une voix de la contrebasse » (formule concert)
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