Par Philippe Desmond.
Le Zèbre, Arcachon jeudi 29 novembre 2019.
Et si j’allais à Arcachon ce soir ? En cette saison et à cette heure-là, c’est la porte à côté depuis Bordeaux. Le soir, même l’été, cette ville ce n’est pas Las Vegas, malgré son casino, tant mieux peut-être, mais en cette saison et sous la pluie c’est quasiment lugubre, surtout à l’écart du centre ville. C’est là que se trouve le Zèbre, café théâtre très actif, qui ce soir (et le lendemain) s’encanaille avec un concert de jazz. http://www.zebrearcachon.fr/
Le jazz c’est bien partout on le sait mais pourquoi ici ? Deux des musiciens sont d’origine arcachonnaise , le troisième est lui exilé pas très loin, à Biscarrosse. Et de temps en temps le Zèbre les accueille comme en famille et ce soir (et le lendemain) spécialement pour la sortie officielle du double album « Guillaume Nouaux & the Clarinet Kings » ; voir la chronique dans la Gazette Bleue (1). Le principe de l’album, des trios sans contrebasse, avec clarinette, piano, batterie, 11 clarinettistes différents et 4 pianistes, Guillaume tenant toujours les baguettes.
Ce soir ils ne sont que trois, Guillaume Nouaux à la batterie, Jérôme Gatius à la clarinette et le landais Alain Barrabès au piano ; reconstituer un concert avec les 16 musiciens du disque est une douce utopie, les avoir réunis sur le disque est déjà une prouesse. Mais cela suffira, les trois compères se connaissent et s’entendent tellement bien.
La salle affiche complet d’un public à l’image de la population sédentaire arcachonnaise en hiver, disons mûr (comme moi) et cela depuis plus d’une semaine. Chaises, tables, coupettes de champagne ou autre, une assemblée qui va s’avérer d’une écoute parfaite et il vaut mieux, le concert étant absolument acoustique, aucun micro, aucun ampli avec le son naturel des instruments, assez rare pour être souligné et cela pour une salle de 80 places environ.
Avant que le rideau rouge, on est au théâtre, ne s’ouvre résonne une musique que la grande majorité de la salle reconnaît et que les moins de 20 ou 30 ans ne peuvent pas connaître, celle du générique de la Séquence du Spectateur la rumba « On The Desert Road » de Juan Montego and The Kingston Orchestra (1953), personnellement j’adore. Retour dans le temps comme d’ailleurs le concert lui même . On est en effet dans le jazz, trad ou classique, Guillaume ose même parler de vieux jazz, ce qu’il dit, lui, avec gourmandise et non avec dédain comme d’autres. Au fait il a commencé par jouer du métal ; lire son portrait (2).
Et c’est bien cela le miracle et la richesse du jazz, permettre à tous, moi compris de faire le grand écart, d’aller bouger debout sur Snarky Puppy et son univers contemporain dans la salle 1200 du Rocher de Palmer et huit jours après écouter du Jelly Roll Morton ou du Fats Waller dans un café théâtre à la veille d’aller admirer Monty Alexander à l’Auditorium. Le jazz c’est aussi une histoire et en cela Guillaume Nouaux est un spécialiste, il en fait bénéficier l’assistance dans ses présentations.
Nous voilà donc plongés dans cette histoire avec ses grands acteurs comme Jelly Roll Morton, Fats Waller, Gershwin, Bix Beiderbecke, Benny Goodman qui vont être évoqués musicalement ce soir avec d’autres. Du stride, du NO, du swing, du blues, toutes ces composantes qui ont enrichi le jazz et sont parfaitement maîtrisées par le trio.
A Jérôme Gatius le rôle de soliste avec sa clarinette, il en est un maître, virtuose mais aussi sensible, délicat quand il le faut. Un régal pour ceux qui aiment entendre le boisé velouté ou la verve perçante de cet instrument peu présent dans le jazz moderne. A le voir se liquéfier rapidement on imagine aussi l’effort physique que cela représente, cet effort n’apparaissant pas dans l’aisance du rendu musical.
Alain Barrabès a lui déshabillé le piano, nous rappelant ainsi que celui-ci est un instrument à cordes, les claviers électriques actuels pouvant nous le faire oublier, et on l’entend très bien ainsi. Il a la lourde tâche de jouer le pianiste et le contrebassiste en même temps, il adore ça jouer sans contrebasse. Pour ceux qui le connaissent il ne fera pas de facéties ce soir – ou si peu – mais nous régalera à son clavier.
Quant à Guillaume il va nous épater comme toujours, par sa précision, sa créativité, son swing. Il a un métronome dans la jambe droite qui commande la grosse caisse. Il sait se faire léger, aidé par les baguettes très fines avec lesquelles il joue toujours mais quand il se lance dans un solo on reste fasciné par sa technique et son inventivité. Non sans humour, en plein solo, il nous fait son gag de la baguette coincée dans le charley ; on est dans un café théâtre spécialisé dans le comique après tout.
Mais une de ses prouesses reste le légendaire « Moanin’ » de Bobby Timmons dont il joue d’un bout à l’autre mélodie et chorus, le piano en soutien rythmique seulement. Déjà vu pour moi mais toujours aussi épatant.
Il ira se reposer laissant les autres en duo sur la fameuse « Flambée Montalbanaise » de Gus Viseur, jouée ici sans accordéon !
En rappel un « Saint-Louis Blues » commencé en mambo et fini dans un boogie-woogie endiablé où musiciens et public se lâchent avec une joie communicative.
Merci à ces musiciens d’entretenir la belle flamme de ce jazz classique que certains jeunes commencent à découvrir notamment à travers les écoles de dance swing ; tant mieux.
(1) https://lagazettebleuedactionjazz.fr/guillaume-nouaux-the-clarinet-kings/
(2) https://blog.lagazettebleuedactionjazz.fr/gazette-bleue-n31-novembre-2018/
http://www.guillaumenouaux.com/