Dom Imonk, texte et photos
Depuis quelques années, et sans faire de jeu de mot trop facile, le Collectif Déluge est devenu une sorte d’Arche de la défense du jazz actuel, menée par Thomas Julienne, Clément Simon et Julien Dubois, sortes de « Noé » bienveillants et toujours en alerte, quand il s’agit de faire découvrir et de promouvoir un jazz neuf, original et preneur de risque. Nombre de musiciens et formations les ont déjà rejoints, avec la menée de projets tels que Theorem of Joy, Le JarDin, Clément Simon, Isotope Quartet, Les Enfants d’Icare, La 5ème Roue, Alexis Valet, Olivier Gay Small Ensemble, Claude et le tout récent trio Penrose, qui présentait en concert à l’Inox (11 rue Fernand Philippart à Bordeaux), son premier disque, sorti début septembre sur le label Déluge.
Composé de Benoît Meynier au saxophone ténor,
de Vincent Sauve (Fada, The Khu, The workshop Stéphane Payen, Fanfare XP Magic Malik) à la batterie
et de Patricio Lisboa (Garay/Malik Quartet) à la contrebasse,
Cette formation tire son nom du fameux « triangle de Penrose », dont on apprend qu’il fut conçu par le mathématicien Roger Penrose, et qu’il s’agit d’une sorte d’objet impossible «utilisé à l’infini pour tromper nos yeux». Nous avons tous croisé un jour ce mystérieux triangle, dont nous avons découvert ce soir l’étonnante représentation musicale, qui n’a pas manqué de « tromper » nos oreilles, mais dans un sens inouï donc accrocheur, propice aux appétits des quelques esprits curieux, réunis dans le cocon de l’Inox. Dès les premiers morceaux, dont l’écriture est collective, l’univers du trio s’installe, interpelle et bouscule, par un puissant flow rythmique, parfois fracturé par de furtifs silences, propagé par la basse et la batterie, auxquelles se joint souvent le saxophone par de petits bouts d’invectives criées, limite free parfois, avant que ne s’échappe sa voix cuivrée, en des chants de notes bleues plus apaisées. Disons que même si le jazz y est omniprésent, il y a du tranchant rock dans cette musique, parfois mêlé à une sorte de « drum & bass » mutant. Un courant vif s’y propage, d’interstices sonores presqu’imperceptibles, en intervalles équilibristes favorables aux grandes enjambées improvisées. De la modernité en mouvement, où alternent des parties très écrites, aspirées par l’appel à des échappées plus libres. Au final, un jazz certes actuel, mais qui fait qu’aujourd’hui c’est déjà demain, idéalement servi par trois excellents musiciens, qui fourmillent d’idées, et que nous espérons bien vite recroiser. Pour l’heure, leur album est en vente, il vous le faut, n’attendez pas Noël !
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En deuxième partie, voici le retour très attendu des Robin & The Woods, bien connus sur Bordeaux et la région, et même jusqu’en Chine (Tournée de trois jours à Shanghai – juin 2019). Un autre groupe qui respire le jazz, et dont les veines canalisent un tumultueux sang rock-prog. Formé de Robin Jolivet (guitare, compositions),
de Jérôme Mascotto (saxophone, compositions),
d’Alexandre Aguilera (flûte),
d’Alexis Cadeillan (basse)
et de Nicolas Girardi (batterie),
le groupe n’a cessé d’évoluer, et ses compositions de se bonifier. L’inspiration puise toujours sa substance en un creuset magique, où se croisent les chevauchées épiques d’un rock prog seventies réactualisé, et le bouillonnement intense et créatif des avancées hardies du « new jazz » de la Big Apple, qui ne dort jamais dit-on. On a vraiment plaisir à retrouver ces compositions, toujours assez conceptuelles, dont messages et titres, aux significations fouillées et engagées, se formulent comme de très beaux messages d’amour à notre chère Planète, mise à mal par des ambitieux fous de pouvoir, et surtout inconscients. Comme toujours avec les Robin’s, les compositions se développent, prennent le temps de laisser la parole à tout le monde, et les histoires se disent, sans être interrompues, captant les attentions, menant son monde de clairières amoureuses aux décors boisés, en inexorables tragédies, au fin fonds de rues menaçantes. Les belles envolées de Robin Jolivet se sont parées d’un son plus acide et métallique, au point qu’on aurait dit qu’il avait changé de guitare. Des chorus aventureux qui galvanisent l’atmosphère de la petite salle. Maintenus par l’association musclée de Nicolas Girardi et d’Alexis Cadeillan, dont les fréquents échanges souriants, trahissent leur gémellité rythmique, et expliquent leur art magique de l’influx instantané, les soufflants font merveille et peuvent tout se permettre. L’oiseau Alexandre Aguilera, dont la flute volubile et agile s’est tout récemment vu adjoindre le concours d’un intimidant rack d’effets tout neuf, associée aux phrases généreuses et habitées de Jérôme Mascotto, dont les échappées enflammées témoignent d’une âme musicale noble et profonde, qui va bien au-delà des simples partitions. L’exiguïté des lieux, leur inspiration du moment, peut-être influencée par la bizarre période que nous vivons tous, semblent avoir favorisé un mood plutôt « pub-rock », une urgence vive et un tant soit peu hirsute, qui leur va finalement très bien. Vers la fin du concert, deux invité.e.s de marque ont rejoint ce beau quintet : La douce et délicate Émeline Marcon, dont le chant subtil a honoré un très beau « Vanish », à vous tirer les larmes,
et le « master of ceremony » Julien Dubois,
dont le saxophone alto a fait merveille sur « Moonfall », qui est d’ailleurs aussi le titre du futur album de Robin & The Woods à paraître au printemps prochain ! Tirons enfin un chapeau particulier à Nicolas Cerezuelle, que nous avons été ravi de retrouver aux manettes, et remercions le pour le très beau son, précis, et punchy, qu’il a su offrir à ces deux formations. Un grand merci aussi au public, fervent et fidèle, même si peu nombreux, ainsi qu’à tous ces musiciens, et à Déluge, dont le festival qui devait se tenir du 30 septembre au 03 octobre a été annulé du fait des nouvelles mesures restrictives liées à l’épidémie, ce que nous déplorons et nous rend tristes. Que cette modeste chronique soit un hommage à eux rendu, pour tous leurs efforts et leur foi en la musique qui cherche et avance, en la culture, et donc, en l’art en général ! Merci, et espérons tous des jours meilleurs. Fingers crossed ! Dom Imonk, texte et photos.