Rédactrice Sylvie Delanne, photos Jean-Michel Meyre

Estivales de Montagne

Vendredi 5 août 2022

Le titre de ce dernier album du Trio Mettà du pianiste Camille Thouvenot claque comme une injonction à résister coûte que coûte, par la création, à l’instar des paroles de Stéphane Hessel « Créer c’est Résister, Résister c’est Créer ».
Le Trio Mettà, me direz-vous, pourquoi ?
Parce que, nous explique Camille, en début de concert, le Mettà est le concept bouddhique de l’amitié, la bienveillance, la générosité qui vont faire le ciment de ce collectif de musiciens, d’amis, de famille pour aboutir à ce magnifique opus.

Fin de journée ensoleillée sur les vignes et vallons de Montagne St Emilion, le jeune festival des Estivales de Montagne, initié par Isabelle Geday en est à son 4ème jour.

19 heures, quelques vignerons nous attendent à l’ombre de l’abside romane de l’église St Martin pour nous faire découvrir leur subtil terroir, on sent l’amour et la passion chez ces hommes du vin d’exception.

Puis le Trio prend place dans le cœur de la petite église où un public venu nombreux l’attend, plusieurs rangées d’enfants attentifs au jazz sont là et comprendront que c’est à leur génération de relever le défi pour la vie et la création, Crésistance, c’est eux…c’est Bérénice, c’est Eliot…

Après quelques recherches acoustiques car la résonance romane est forte, le Trio du génial, prolifique et inventif pianiste Camille Thouvenot, Christrophe Lincontang, l’homme contrebasse et Andy Barron, le batteur en permanente subtile recherche de la percussion juste, prend son envol sur une VALSE AU CARRÉ.

Un temps d’accordage à l’intérieur du piano introduit un solo complexe de notes aériennes aux influences parfois Jarrettiennes. Le ton est soutenu par une basse généreuse et fondue dans le piano, pendant que le batteur très décontracté balaie tendrement ses peaux. Quand tout à coup, un bout de Caravan passe, discret, subtil, Valse au carré, je m’y prend les pieds car la composition n’est pas facile.

Puis Camille dédie à sa compagne le morceau d’amour qui suit, écrit pendant la crise des 7 ans de leur histoire. SEVEN YEARS est une partition intime toujours bien soutenue par la contrebasse, suivent des harmonies asséchées par la frappe de la batterie… Puis une montée en puissance et Andy Barron pulse une ascension orgasmique déchirée par la tendresse du piano sur le final.

BERENICE et ELIOT, dyptique spécialement écrit pour les enfants des amis de cœur, ceux précisément qui ont conçu le graphisme original de la pochette de l’album; tour à tour, douces, nerveuses , joueuses, berçantes ces compositions mélodiques peignent l’enfance tendre, colorée et papillonnante. Les influences de Brad Meldhau et Esbjorn Svenson se retrouvent là tout près…

Puis une petite Madeleine de Proust, une reprise arrangée dérangée de la belle valse musette INDIFFÉRENCE de Tony Murena, popularisée par les compères Lubat-Minvielle. Tempo rapide, travail de baguettes, super contrebasse qui soutient la mélodie. Vraiment je commence à être bluffée par le travail inhabituel d’Andy Barron qui cherche et recherche des effets très spéciaux..

COULEURS D’AUTOMNE, ballade à Central Park, très belle intro du pianiste qui revit ses moments de plaisir dans la ville de Coltrane; quelle montée! quelle puissance! quelle intensité…un jeu puissamment habité par les trois musiciens, une urgence à vivre, à résister, à créer…

Un enchaînement pour retrouver un calme intérieur, MA MEDITATION, vibrations des balais sur un tableau peint par la contrebasse de Christrophe Lincontang, harmonie des couleurs…une méditation qui réveille soudain les sens et toutes perceptions deviennent palpables, des battements du coeur aux pulsations du sang dans les tempes…

Et le clou final, l’immense morceau popularisé par Duke Ellington, CARAVAN, ce Caravan qui s’est immiscé en douce au long du concert, débute par une longue et subtile intro du batteur Andy Barron qui depuis le début fait preuve d’un talent très particulier. Un solo qu’on croirait sorti d’un engin fantastique conduit par un drummeur chercheur. Le thème est sublimé par ce jeu de baguettes totalement extra-terrestre. Andy entre concentration et jubilation s’amuse comme un enfant avec ses camarades de jeu.

Une longue ovation du public et le Trio reprend place pour nous offrir un si beau standard de jazz, MY FAVOURITE THINGS sublimé par John Coltrane, totale sensualité, moment de grâce…

Et nous sortons encore sonnés et émerveillés par tant de talents réunis à la recherche du CD produit chez Jinrikisha Production et distribué par le label Inouïe qui prolongera ces moments uniques …