Chris Potter « Eagle’s Point » à Jazz in Marciac



Par Annie Robert, photos Laurent Sabathé

Chapiteau de Marciac, 20 juillet 2020.

Basse/ batterie/ piano/ saxophone voici une configuration bien connue des amateurs de jazz, un quartet type qui se décline en multiples esthétiques… du new orleans au free jazz, du bop au west coast au gré des inspirations, des mélodies et des rencontres entre musiciens.
Un quartet classique en somme, auquel on est largement habitué.
Seulement, le quartet de ce soir n’est pas celui de n’importe qui.
Le saxophoniste
Chris Potter est à la manœuvre, avec les morceaux de son nouvel album studio « Eagle’s point » qui témoigne de son brio en tant que compositeur, instrumentiste et leader.
Il réunit pour cela trois sommités du genre, excusez du peu…
Brad Mehldau au piano , John Patitucci à la contrebasse et Jonathan Blake à la batterie..

Chris Potter, c’est une figure de proue de la scène internationale du jazz, réputé pour la maîtrise technique de son instrument, son sens de l’ impact et une approche audacieuse et imaginative de l’improvisation. L’écouter est toujours un moment de bonheur, une approche de la perfection.
Il a un son prodigieux, fort et délicat. Il me fait penser à une caresse possible sur une peau de léopard. C’est coloré de roux flamboyant, frissonnant, rempli d’ocelles rondes, mais avec une sauvagerie cachée et prête à bondir.

Pas besoin non plus de dire à quel point Brad Mehldau est un pianiste d’une finesse incomparable tant au niveau de son toucher que de sa science harmonique et de son goût pour la mélodie. En solo, en leader ou comme ce soir en side man de luxe, il est émouvant et créatif comme toujours. Il nous le démontrera encore ce soir par des mélodies de soutien d’une grande imagination, des impros toujours aussi simplement belles.

Quant au couple Patitucci/Blake, par les qualités propres et immenses de chacun d’eux, il forme une paire rythmique de haut vol.
Ils commencent par « Dream of home » et poursuivent avec « Cloud message » et dérouleront ensuite les autres morceaux de l’album. Piano et sax dialoguent, échangent, bousculent les ryhtmes, se glissent l’un dans l’autre, soutenus par une batterie douce et joyeuse qui relance, écoute, joue de la peau et du fer, ajoute à la folie si nécessaire, tempère quand il le faut et une contrebasse qui fait de la broderie anglaise boisée qui n’a rien de décoratif, un soutien de tous les instants aussi bien à l’archet qu’à la corde.
L’esprit, l’âme, la peau se laissent rapidement prendre par les allées et venues, les superpositions, les échappées des quatre instrumentistes, on les suit dans l’éxubérance des motifs comme des enfants courant dans un parc, glissant sur les toboggans ou en admiration devant un brin d’herbe ou un reflet dans l’air…

Une mention spéciale à Aria for Anna, ballade un peu à part dans sa structure, amoureuse et grave, sans batterie pendant un grand moment, colorée de mauve et de petit soir. Spleen en diable.

Le quartet reste ancré dans les codes stricts du jazz, c’est évident : relances sur quatre ou huit temps et place à l’impro pour chaque instrumentiste.
Rien de tout cela n’est révolutionnaire dans sa structure,on peut le regretter ou s’en réjouir au choix. Mais c’est remarquable par le talent des interprètes ( impro batterie et impro contrebasse …wouah!) , une communication et une musicalité de tous les instants, la cohérence du discours et l’humilité de chacun au service de tous.
Dans l’intimité de ce petit groupe, les récits musicaux de Potter s’épanouissent vraiment, marqués par des moments d’interaction virtuose et des rythmes contagieux. Ça va vite, ça déroule des rubans de notes mélées mais non emmélées. Bref des gymnastes du groove.
On termine avec des étoiles dans les yeux, admiratifs de tant de facilté apparente et de travail sous jacent.
Un concentré de jazz à quatre, un moment de large respiration.