Arcachon Jazz festival 2025 #3/3

Par Philippe Desmond, photos Hugues Malo (concerts), Bernard Jouan (jam).

Troisième et dernière soirée du Arcachon Jazz Festival 2025 avec une carte blanche à Guillaume Nouaux (1). Originaire du Bassin (La Teste de Buch) le batteur a proposé deux formations, l’une avec Fred Couderc, né à Arcachon, l’autre avec pas mal de ses collègues internationaux avec qui il partage les scènes d’Europe.

Fred Couderc Quartet

Frédéric Couderc : saxophones soprano, alto, ténor, flûte, bansouri, fifre, cornes, appeaux, percus… Mathieu Cochard : piano / Chuchi Garcia : contrebasse / Guillermo Roatta : batterie

Frédéric Couderc, Fred, a eu et mène une carrière riche et variée. Dans le jazz bien sûr, de Ray Charles à Wynton Marsalis en passant par Dee Dee Bridgewater, Michel Legrand, Laurent Mignard, Fred Pallem… Dans la variété où il a accompagné beaucoup de monde, Charles Aznavour, Jane Birkin, Dany Brillant, Patrick Bruel… dans le rock avec Jean-Louis Aubert… Il mène ses propres projets bien sûr, avec trois albums en leader et depuis quelques années il enseigne le saxophone au Conservatoire National de Région de Bordeaux. Toujours à l’affût de nouvelles sonorités il est devenu poly instrumentiste parfois avec des choses insolites comme on va le voir.

Il aime bien ainsi brouiller les pistes en concerts, ne ménageant pas les surprises et faisant preuve d’un humour pince sans rire redoutable. Grand amateur de Roland Kirk c’est avec une de ses compositions qu’il débute le concert de ce soir au Club Arlequin du théâtre Olympia. De Kirk, le polysouffleur, il a repris la technique du multi-sax et en effet se met à jongler très vite avec le soprano et le ténor, allant bien entendu jusqu’à en jouer en même temps, proposant ainsi des harmonies inhabituelles caractéristiques de son inspirateur aveugle. Kirk flirtait – ou plus – avec le free, en voilà ce soir pour désarçonner passagèrement le public arcachonnais plus proche du Hot Club que du jazz en liberté ; mais ça passe, même quand une valse tourne au délire.

Fred n’est pas seul bien sûr, il a fait appel à Chuchi Garcia son collègue du CNR, Mathieu Cochard, son étudiant du CNR jusqu’à l’an dernier et maintenant au Pôle Sup du Conservatoire de Paris (et lauréat du tremplin Action Jazz 2025) et le jovial Guillermo Roatta. Un quartet qui fonctionne à merveille.

Il nous explique que la musique est née quand les hommes ont voulu imiter le chant des oiseaux dont il nous donne un échantillons avec des appeaux, tout cela pour nous emmener à la flûte vers la « Serenade to a Cuckoo » de Roland Kirk ; un moment amusant très apprécié du public des « coucou » en jaillissant de-ci de-là. Passage coltranien ensuite avec « My Shining Hour » au sax alto droit, puis un titre où il fait chanter Henri, un bouc des Pyrénées dont il joue de la corne, en tirant une douceur incroyable. Des surprises sans arrêt, voilà « O Grande Amor » de Jobim à la flûte bansouri qu’il enchaîne avec une adaptation de « Qui a le droit » de Bruel (qui a eu la chance de jouer avec lui déclare-t-il malicieusement, inversant humblement la formule ensuite) . Fin de concert joyeuse avec le « Bebê » d’Hermeto Pascoal puis final paisible pour une prestation très originale qui a séduit le public agréablement surpris.

The International Classic Jazz All Stars

The International Classic Jazz All Stars, carrément !

Enrico Tomasso : trompette / Enric Peidro : sax ténor / Frits Landesbergen : vibraphone / Thilo Wagner : piano / Queralt Camps : contrebasse / Guillaume Nouaux : batterie.

International et oui, dans l’ordre de la liste, Anglais, Espagnol, Hollandais, Allemand, Catalane et Français. Classic Jazz bien sûr, ce swing des années 30 et 40 qui annonce le be bop. All Stars oui, ils le sont dans ce type de musique et remplissent les salles de concerts et les festivals de l’Europe entière.

Les « All Stars » en musique comme en sport ça ne donne pas forcément une belle équipe, parfois la mayonnaise ne prend pas ; ce soir elle est succulente, elle se tient parfaitement, onctueuse, relevée, goûteuse, c’est un vrai régal. Ces musiciens ont l’habitude de se retrouver au gré des formations fluctuantes que le jazz impose, l’entente est parfaite et le plaisir de jouer ensemble communicatif. Mais surtout ce sont tous des cadors !

Je n’avais jamais vu Enrico Tomasso, trompettiste armstronguien fabuleux (2) titulaire de quatre British Awards, qui a notamment joué dans l’orchestre de jazz d’un certain Brian Ferry (Roxy Music), sa verve, sa maîtrise des aigus, la finesse des ses interventions en sourdine m’ont épaté. Et en plus il chante très bien ! J’ai déjà vu Enric Peidro et c’est avec plaisir que j’ai retrouvé le velouté de son saxophone, son sens des mélodies avec ce soir un « Laura » ronronnant de tendresse. J’ai aussi revu le géant hollandais Frits Landesbergen une vibraphoniste hors pair, toujours à quatre mailloches ; ils nous a proposé en solo un « Sweet Georgia Brown » fabuleux dans lequel il a réussi à caser des mesures de « Softly as a morning sunrise » pour finir en « Marseillaise » ; il est aussi un grand batteur qui a accompagné Monty Alexander pendant des dizaines d’années ! Thilo Wagner, que je découvrais, a un toucher d’une grande délicatesse comme sur le passage en trio avec « I’m Old Fashioned » mais il peut aussi swinguer comme Erroll Garner ou s’envoler tel Oscar Peterson. Totale découverte que la contrebassiste Queralt Camps (et surprise car le programme annonçait UN contrebassiste ! ). Elle est une valeur sûre de la scène jazz barcelonnaise et a ce soir plus qu’assuré, ayant son morceau de bravoure lors de « Wayback Blues » . En effet le répertoire a été bâti pour que chacun y ait sa place, son moment de focus, aucun leader ce soir ou que des leaders ; on le doit à Guillaume Nouaux qui lui aussi, bien sûr, nous a éclaboussé de son drumming alliant finesse et énergie quand il le faut. Il nous a encore offert un solo intergalactique, quel maître de la batterie !

Un concert de jazz éclatant, une interaction permanente entre les musiciens, des regards complices, des rendez-vous parfaits, des questions, leurs réponses, des relances, des impros, des unissons, des montées en puissance, du très très beau travail ! Du jazz !

La jam

Traditionnellement désormais, une jam clôture la dernière soirée dans le plus pur esprit du jazz. Dommage que d’autres musiciens que ceux ayant joué ce soir n’aient pas participé a ce joyeux moment.

(1)interview de Guillaume Nouaux : https://www.guillaumenouaux.com/lagazettebleueactionjazz.pdf

(2) à l’âge de 7 ans Enrico a eu la chance de rencontrer Satchmo, de jouer et de passer plusieurs jours avec lui à Londres. Tapez Enrico Tomasso sur Google et vous saurez tout.

Premier soir

Deuxième soir

Soutenez le jazz en Nouvelle Aquitaine !