Yves Brouqui

« Mean What You Say »

La maturité d’un virtuose tranquille

par Pops White

Nous en étions restés avec Yves Brouqui à son dernier album How Little We Know chez Gaya Musique, en trio contrebasse et batterie, avec ce son de guitare rond, chaleureux, comme un soleil voilé, qui recherche le “duende” plutôt que la performance. Il aura fallu attendre presque une décennie pour le retrouver avec ce nouvel album Mean What You Say (heureusement que l’on ne fait pas de psychologie de bistrot sur ce que l’évolution des titres des albums pourrait révéler de l’évolution personnelle des musiciens !)

On retrouve dans cet album le son très particulier de sa Gibson ES-175 de 1965, une petite beauté et un morceau d’histoire de la guitare puisqu’il s’agit, on s’en souvient, de l’héritière de l’ES-150, l’une des toutes premières archtop électriques de la Manufacture de Kalamazoo. D’où cette sonorité chaude, ronde et boisée, avec une belle résonance acoustique qui transcende le jeu à la fois fluide et articulé qui nous réjouit l’oreille chez cet artiste.

Originaire de Grenoble, Yves Brouqui a débuté sa carrière musicale dans les années 1980 en France, poursuivant sa formation au C.I.M (Centre d’Informations Musicales) à Paris, une institution réputée pour l’enseignement du jazz. En 1994, il s’installe à New York, où il joue et enregistre avec des figures majeures de la scène jazz locale, notamment le saxophoniste Grant Stewart. Il se produit régulièrement dans des clubs emblématiques tels que le Smalls Jazz Club, où il enregistre « Live at Smalls » en 2001.

De retour en France, il continue de collaborer avec des musiciens de renom et participe à divers projets, renforçant sa présence sur la scène jazz européenne. Et le voici donc un retour à une formule quartet pour ce nouvel album qui représente pour lui, comme il le dit, une étape importante, “une sorte de résumé de 40 ans de carrière, avec le plaisir d’être accompagné par le trio du pianiste Spike Wilner”, à savoir Paul Gill à la basse et Anthony Pinciotti à la batterie. Pour reprendre ses propres mots, sa “Dream Team de New York”.

Et cette Dream Team, elle nous en donne du rêve à revendre ! il y a d’abord les compos du maestro, Elsa Rosa, une élégante balade mélancolique évoquant des paysages urbains nocturnes dans un noir et blanc sophistiqué. Tout comme Massena Blvd, une autre compo plus bop avec un chorus de contrebasse impressionnant. Et enfin, For John, un sublime hommage aux gammes Wesmontgomeriennes (le génie autodidacte d’Indianapolis était lui aussi un adepte de l’ES-175). il y a également Turquoise Twice en ouverture d’album, au-delà de la technique ou de la virtuosité pour privilégier un échange fluide entre des musiciens qui se font et nous font plaisir. Le morceau titre de l’album Mean What You Say (que l’on doit au trompettiste Thad Jones), une merveille, à partir d’une suite d’accords très simples des variations d’une subtilité infinie. Et bien sûr, Spike Wilner, éblouissant partout, tout le temps.

Pas mal de bossa également, avec Stranger In Paradise ; entre fluidité et articulation, on est épaté par l’intelligence harmonique du quartet, par le plus court chemin qu’il prend sans détour vers l’essentiel. Une version revisitée de Besame Mucho, l’immortelle ballade de Consuelo Vasquez, mais attention les yeux, en 5/4 ! … et ça fonctionne au poil, une prouesse technique où la technique reste toujours discrète. Aussi, la reprise de Get Out Of Town de Cole Porter dans un tempo latino cool complètement différent de la version sublime et poignante d’Ella Fitzgerald.

Enfin, une curiosité, Magali, développements sur une ballade traditionnelle à trois temps avec une belle intro à l’archet et une joyeuse succession de chorus réjouissants. L’album se conclut par un feu d’artifice, une réinterprétation de Caravan où l’on ne sait plus où donner de l’oreille avec l’impression d’assister à une danse chamanique sur le manche (et sur le clavier, Spike Wilner on fire !)

Une belle leçon de jazz qui confirme s’il en était besoin qu’Yves Brouqui est définitivement l’un des noms qui clignotent sur les néons de la guitare jazz contemporaine.

Steeplechase Records

https://www.steeplechase.dk