Valérie Chane-Tef : Tèr laba

par Philippe Desmond, photos David Bert

Le concert

Pôle Culturel Evasion, Ambarès (33) jeudi 21 mars 2024.

Valérie Chane-Tef a ses racines à la Réunion, elle y est née et y a encore sa famille. Dans ses précédents projets, comme le groupe Akoda, l’influence musicale de cette île était déjà forte. Elle y mêlait le Maloya, le Sega au jazz, elle parlait de jazz créole d’ailleurs ; au piano ou aux claviers elle menait la danse chantant très très peu. Là elle prend un virage, fini le piano qui est confié à la guadeloupéenne Flo Vincenot, cette fois Valérie chante. C’est de la rencontre avec Flo qu’est né ce projet, cette culture créole commune malgré l’éloignement géographique des deux îles mais avec ces passerelles nées du passé, des dénominateurs communs musicaux. Elles ont ainsi bâti une belle partie du répertoire de Tèr Laba ; des compositions d’artistes réunionnais comme Michou, Françoise Guimbert, George Fourcade le complètent.

Pour le concert ce sont Inor Solongo aux percussions et Albert Gnanho à la batterie qui bouclent le quartet, un cubain et un béninois pour apporter leur touche rythmique et ajouter davantage de métissage à cette musique. C’est leur premier concert ensemble après une très courte résidence au Pôle Evasion, Albert par exemple n’étant arrivé que la veille. L’album sort officiellement à minuit et nous en avons donc la primeur en live. Découverte donc et très vite une révélation !

Ce quartet a une couleur chaleureuse autour des textes chantés en créole par Valérie ; seul problème il manque les sous-titres car si, par-ci par-là, on comprend quelques mots on ne capte pas toute la puissance des textes dont elle nous donne le sens : l’amour et ses vicissitudes, la vie, la Réunion… Valérie visiblement intimidée au début du concert va vite trouver ses marques et son plaisir qu’elle nous fera partager. la complicité avec Flo qui a co-composé les chansons est évidente. Cette dernière vit son piano, engagée, d’une expressivité étonnante et agréable à voir ; très virtuose et musicale, elle multiplie les harmonies aussi travaillées que belles, les rythmiques soutenues, un régal. Et alors « derrière » deux lascars vont nous épater, Inor Sotolongo et Albert Gnanho. Inor on le connaît, on l’a vu maintes fois avec des formations de jazz différentes à qui il apporte la richesse infinie de ses percussions et sa couleur cubaine. Ce soir il va être égal à lui-même sinon plus. Quel enchantement de le voir travailler dans son atelier rempli d’outils musicaux les plus variés ; des congas aux claves, des sifflets d’oiseaux aux clochettes, des guirlandes de clés (de serrures) au kayamb cet instrument typique de ces régions de l’Océan Indien. Albert à la batterie c’est une machine rythmique, capable des rythmes les plus divers avec toujours cette pointe galopante d’afro-beat ; et avec le sourire s’il vous plait. Quant à l’alliance entre nos deux percussionnistes elle est tout simplement phénoménale de synchronisation et d’inventivité. Une surprise, pour lui aussi presque, le bassiste bordelais Eric Dubosc viendra rejoindre le groupe sur deux titres, Valérie assurant la basse au clavier le reste du temps.

Valérie peut chanter « tranquille » avec une telle rythmique, une telle pianiste elle nous embarque dans du Maloya, des medleys de Séga, des musiques exotiques pour nous, qu’elle met à notre portée, tout en retrouvant ses propres racines. Et le jazz ? Il vient se nicher dans tous les coins par des improvisations, des chorus, du groove, il est bien là oui. Envie de bouger, de danser – mais là c’est compliqué – et surtout d’aller dans la Tèr Laba découvrir sur place cette culture musicale ensoleillée mais aussi profonde.

Le rappel sur « Oté Larényon » de Danyèl Waro sera une « revue des troupes » chacun nous offrant un moment d’improvisation de haut vol. Un merveilleux concert.

Galerie photos du concert en fin d’article

Album Radio Péï

Valérie Chane Tef : chant percussions, compositions / Flo Vincenot : piano, compositions

Invités : Thierry Fanfant : basse / Inor Sotolongo : percussions / Albert Gnanho : batterie / Fabien Roynette : congas / Christophe Chrétien : batterie / Fabrice Legros : chant / Arno Bazin : chant

Douze titres dont la moitié de compositions font vibrer cet album. Il en ressort une belle gaité ensoleillée même si les thèmes abordés ne le sont pas toujours. Rythmiquement c’est un bijou de ces tempos de Maloya, de Séga ; piano harmonique et rythmique, percussions riches, basse profonde et vive mettent en valeur la voix de Valérie Chane Tef qui a bien fait d’oser le chant. Certes elle a lâché son piano mais Flo Vincenot et cet instrument ne font qu’un, en concert c’est flagrant. Bon, on ne comprend pas tout ce qui se dit en créole mais globalement on arrive à en extraire le sens par certains mots clés très proches de la langue française, l’officielle. Les mélodies se succèdent, celles composées par les deux complices, celles issues du Séga réunionnais ou d’artistes de là-bas, comme les chanteuses Michou, Françoise Guimbert ou encore le très populaire et légendaire sur son île, Georges Fourcade. Quel dépaysement musical qui en plus nous fait découvrir tout un univers musical !

L’idée de départ de Valérie et Flo était de faire des chansons créoles réunionnaises, originales ou arrangées à partir de compositions existantes en mêlant leurs cultures ; celle de l’ex île Bourbon de la première et celle des Antilles de la seconde et de Thierry Fanfant. Quand en plus viennent se greffer le cubain Inor Solotolongo et le béninois Albert Gnanho le cocktail ne peut qu’être épicé et succulent. Que ces cultures respirent la musique loin de notre retenue métropolitaine ! Chaleur des pays, chaleur des musiques, un lien certainement ; dans quelques années avec le réchauffement peut-être ici aussi nous chalouperons sans vergogne…

En attendant découvrez cet album chaleureux et authentique !

Galerie photos :