par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat
le tROCKé, Gradignan le 18 janvier 2019.
Le jazz est toujours à la recherche de lieux pour se rapprocher d’un public parfois timide l’inverse étant plus aléatoire. Quand il rencontre des organisateurs qui souhaitent diversifier leur programmation et justement en proposer cela fait évidemment plaisir. C’est ce qui s’est passé ce vendredi à Gradignan à l’EPAJG, acronyme complexe de l’Etablissement Public pour l’Animation des Jeunes de Gradignan, plus connu sous son nom de baptême le tROCKé. Oui plutôt rock l’endroit, c’en est même un lieu de répétition pour les goupes qui le souhaitent ; il y a plusieurs batteries, une sono et de la disponibilité. Les jazzeux y sont les bienvenus aussi.
L’initiative de cette soirée revient à deux personnes, Fabrice Valade le directeur du lieu et Daniel « Dany » Ducasse le vieux rocker gradignannais (« Ma vieille canaille » comme dira Monsieur le Maire présent ce soir) qui a repris sa guitare et son harmo il y a trois ans.
On peut le voir avec Orville Grant, en duo comme ce soir en première partie ou parfois surgir au débotté au milieu d’un groupe sur quelques scènes locales et prendre le micro avec son harmonica. Action Jazz comme conseil et c’est parti pour le premier concert de jazz du lieu. Action Jazz est aussi présente par l’intermédiaire de notre photographe Philippe Marzat qui expose ses si beaux clichés N&B en compagnie de Dominique Légeron lui aussi de Gradignan.
Belle affiche avec dans la grande salle de concert le trio acoustique de Roger Biwandu (batterie) , Yann Pénichou (guitare) et Nolwenn Leizour (contrebasse).
Mais avant, c’est Dany Ducasse à la guitare et Oriane au chant qui vont animer musicalement l’apéro tapas dans la salle du bar. 55 ans les séparent et c’est ce petit brin de fille qui entraîne le vieux briscard, qui l’a vu naître, dans son choix de répertoire : Amy Winehouse, Stevie Wonder, Barbara, Janis Joplin, Leonard Cohen, Beth Hart… et quand même un standard du jazz « Summertime ».
Oriane a vraiment progressé, plus d’aisance, de puissance et toujours une voix très juste pour des chansons pas si faciles comme le « Bohemian Rhapsody » de Queen. Dany manie désormais les loops avec facilité et ainsi se multiplie, fixant sa rythmique et pouvant broder dessus. Le maître des lieux Fabrice Valade viendra même étoffer le duo à la batterie.
Très sympa entrée en matière. Pourquoi ce choix avant du jazz ? La musique d’abord et le fait que quand Dany joue quelque part il inonde d’infos son réseau et remplit presque à lui tout seul la salle !
Jolie et méconnue salle pour des concerts que celle du tROCKé, une scène permanente décorée d’une fresque amusante, une sono, des chaises (comme ce soir) ou pas, une jauge intéressante d’environ 150 personnes.
Roger Biwandu a préparé un répertoire de standards adapté à la nature du public supposé, pour beaucoup des novices en jazz, ne fréquentant pas cette musique. Un guitariste demi-caisse, du jazz, on pense aussitôt à Wes Montgomery, le voilà avec « Bock to Bock» et aussitôt une atmosphère cool qui s’installe. Concert acoustique, quasiment, salle à taille humaine, éclairage cosy et de la belle ouvrage. Guitare chaude et claire, contrebasse bien ronde et orfèvrerie à la batterie.
On connaît la puissance de Roger Biwandu, on a pu la tester la semaine dernière avec son « power trio » (voir chronique) ce soir il est dans un autre registre avec sa jazette. Jeu nuancé, créativité, soin des détails – qui du coup n’en sont pas – du travail de hot couture, la fièvre couvant quand-même sous la tempérance. Des solos bien dans le thème, relancés de quelques mesures par les deux autres, comme j’aime, loin des solos hors sol qui tournent à la démo, s’éloignant trop du tempo initial.
On repart chez un autre guitariste avec John Scofield et «Bag » mais avec le son de Wes, et quand Yann Pénichou prend la main c’est pour des chorus très riches et inspirés. Il y a longtemps que je ne l’avais pas vu dans ce registre et avec une telle liberté, il est excellent. Le titre s’allonge, rebondit sur un chorus de contrebasse de Nolwenn Leizour qui capte l’attention du public et ça c’est un signe, le thème revient, repart, reviens encore, du jazz. Voilà le swing de « Broadway » puis « Waves » de Jobim en mode bossa nova ; ça marche bien avec le public novice qui en connaît la mélodie. Mais la mer s’agite un peu, les vagues se font plus fortes et dangereuses secouées par la batterie, le titre suivant sera d’ailleurs « S.O.S » un bop agile de Wes Montgomery. Nous voilà sauvés.
Mais un hymne retentit, celui de Roger Biwandu, « From Palmer » composé en 2007 en hommage à son quartier de naissance sur la rive d’en face ; insolite en trio guitare et très réussi, la contrebasse de Nolwenn il est vrai y occupant une place fondamentale. Habilement Roger propose à cette assistance qui est désormais acquise « Un jour mon prince viendra » pas celui de Minneapolis mais celui d’Hollywood, attendu par Blanche Neige. Vu les circonvolutions de Yann Pénichou il n’est pas près d’arriver le beau gosse, tant pis pour elle, tant mieux pour nos oreilles.
Autre titre grand public – expression souvent péjorative mais à prendre ici au sens de tout public, la qualité n’étant pas mise en cause loin de là – « Moanin’ ». Qui ne connaît pas ce thème ? Osé encore en trio guitare mais ça fonctionne très bien. La salle attentive est définitivement conquise et demande un rappel avec ferveur. « Take Five » rien moins et sa rythmique si complexe !
Du beau boulot quand en plus on sait comme nous que les répétitions se sont faites seulement à la balance. On y révise les débuts de titres, on y peaufine les fins, important les fins, le reste ils l’ont chacun dans les doigts et la tête grâce à leur travail de tous les jours.
Quelques commentaires de personnes pour qui c’était le premier concert de jazz nous confortent, la situation n’est pas désespérée pour cette musique que nous aimons tant mais il faut aller au devant du public et lui proposer un répertoire adapté et surtout de la grande qualité comme ce soir. Quand en plus c’est dédramatisé avec l’humour débonnaire des interventions de Roger Biwandu ce n’est que mieux.
Set list :
– Bock To Bock (Wes Montgomery)
– Bag (John Scofield)
– Broadway (Bird, McRae, Wood)
– Wave (Antonio Carlos Jobim)
– SOS (Wes Montgomery)
– From Palmer (Roger Biwandu)
– Someday My Prince Will Come (Frank Churchill pour Disney)
– Moanin’ (Bobby Timmons)
Rappel :
– Take Five (Paul Desmond -aucun lien de parenté avec moi, c’était un pseudonyme, il s’appelait en réalité Paul Breitenfeld, dommage…)
Et n’oubliez pas samedi prochain ! Venez découvrir les nouveaux talents du jazz de Nouvelle Aquitaine. Gratuit.
