Texte et photos Philippe Desmond

Il est des soirs comme ça plein de surprises. Vous partez écouter une chanteuse lyrique, cantatrice devrais-je dire, simplement accompagnée d’un pianiste, pas n’importe lequel, et vous vous retrouvez dans l’univers du jazz, celui qui comporte la galaxie des standards, ces chansons de Broadway, langage universel des jazzmen. La musique n’a pas de frontières, du moins on ne devrait pas lui en créer, cette soirée en est une nouvelle preuve.

Ce concert « chez l’habitant » réunit Sophie Pondjiclis, mezzo-soprano à la très belle carrière lyrique internationale et Stéphane Petitjean pianiste, arrangeur, chef d’orchestre, deux artistes majeurs. Un privilège de les avoir ainsi en petit comité, une quarantaine tout de même. Privilège élitiste allez-vous me dire, et bien non, ces « petits » concerts Sophie les a multipliés durant cette dure période pour la culture, à commencer avec ses voisins de Martigues, sa ville d’origine, durant le confinement.

Broadway, je l’évoquais plus haut, à travers ses comédies musicales a fait naître un répertoire intemporel et universel. Leonard Bernstein notamment avec « West Side Story » dont Stéphane Petitjean nous propose des extraits en piano solo. Les doigts claquent sur la musique d’ouverture voyant Jets et Sharks se toiser puis s’affronter, voilà « Maria » et sa douceur, le tonique « America » . Les arrangements au piano sont superbes, pleins de nuances, de sensibilité de ferveur aussi. Ce qu’on peut faire avec un piano, remplacer un orchestre symphonique tout simplement !

On remonte le temps avec Cole Porter grand fournisseur de standards et voilà Sophie Pondjiclis qui s’avance pour « Night and Day ». Le choc, une voix qui vous pénètre, vous enveloppe, sans micro bien sûr. Pas de retenue dans sa voix me dira-t-elle, même dans un espace restreint comme ici, la voix part de la posture, des pieds jusqu’à la tête, tout le corps y participe. Stacey Kent et ses murmures oubliés, Diana Krall et son velouté distancés. Nous voilà dans une autre monde, celui du chant lyrique, plus précisément de l’opéra, avec cette expressivité et ce jeu d’actrice tellement prenants. Le « So in Love » que chantait si bien Ella Fitzgerald est lui plein d’émotion, de don de soi.

Sophie Pondjiclis qui a déjà chanté plus de 75 rôles différents dont Carmen le plus célèbre pour les novices comme moi, aime le jazz, elle se produit même parfois avec le Cap Jazz Sextet dont un trompettiste Renaud Gensane, qui accompagne aussi Ibrahim Maalouf, est un ancien musicien de Johnny Hallyday ; quand on dit que la musique n’a pas de frontières ! Bien sûr elle le chante à sa manière ce qui fait la rareté de tels moments.

Gershwin bien sûr, des extraits de « Un Américain à Paris », prouesse là aussi de remplacer au piano seul un orchestre complet, puis un incontournable « Summertime » et un émouvant « The Man I love » offerts par Sophie à nos oreilles et nos yeux subjugués. Puis on s’éloigne de Broadway avec un autre titre devenu lui aussi un standard, « Besame mucho » dans une version que je n’avais jamais entendue, à la fois dramatique et jubilatoire.

Piano solo à nouveau pour un hommage à Nino Rota à travers ses musiques pour Fellini, 8 ½, Amarcord, la Strada… un bonheur musical et des arrangements d’une grande richesse. On quitte Fellini mais pas Rota avec Sophie qui nous offre « Parla piu piano » du Parrain, puis retour à Broadway avec « Memory » extrait de la comédie musicale Cats .

Ovation bien sûr – comme à la fin de chaque morceau – et rappel avec un titre d’un jazzman français, mais sans trompinette, Boris Vian et cette chanson hilarante « J’coûte cher » superbement jouée par Sophie, pleine d’humour loin de l’archétype caricatural des divas.

Merci à nos hôtes et à ces deux remarquables artistes toujours prêts à jouer ainsi, loin des salles prestigieuses qu’ils fréquentent habituellement.