par Anne Maurellet.

Perry Gordon & His Rhythm Club en quartet 02/08/20 chez Maman à Gujan-Mestras

Perry Gordon, chant, cornet

Denis Girault, clarinette

Florian Mellin, guitare

Nicolas Dubouchet, contrebasse

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Au fond, l’art, c’est l‘évasion, le pas de côté. Écouter la musique, c’est se dégager de la difficulté du quotidien, pas tout à fait du réel. Créer doit faire partie du réel…

Je comprends mieux pourquoi l’absurde a du sens, il permet de se détacher de la répétition.

Les musiciens accordent leurs instruments. Ça y est, ils s’échappent. Juste l’avant et déjà dedans, un moment d’élection où un pied reste en suspend dans le jour et l’autre s’ancre peu à peu dans la nuit lumineuse des accords. En face, l’océan scintille, affriolé.

Dès les premiers accords, des couples engagent un bal. Faut dire que le rythme des années 10 à 30, musique en pizzicati entraîne les pieds à la pointe. Y a d’la joie, un désir effréné de légèreté. Ça sent l’envie d’oubli, l’art comme jeu.

C’est un produit fini, ciselé ; on n’a pas l’impression d’invention et pourtant Perry Gordon & His Rhythm Club s’approprient avec toute leur jeunesse les standards des années folles.

Nostalgie ou joie, faut-il choisir son camp ? C’est carré ou rond, bien huilé en tous cas.

At the Jazz Band Ball, la clarinette de Denis Girault chante sa mélodie pour appeler la trompette qui s’exécute ; c’est sans compter sur la contrebasse ferme et temporisante, elle attire à son tour la guitare percutante de Florian Mellin… Les voilà tous les quatre, les retrouvailles sont forcément heureuses. Bonheur artificiel quand tu nous tiens… ne nous lâche pas !

Il faut se laisser doucement glisser dans ce miel, At Sundown, que les abeilles musiciennes butinantes produisent. La guitare s’hawaïse ainsi, sans rendre le nectar sirupeux ! À petits pas, pas feutrés, pas menus, les couples se sont accordés sur la piste de fortune. Cette musique est bien une danse.

Elle glisse vers le tango avec My Walking Stick. On ne sait plus qui est au service de qui ! La voix crayeuse du trompettiste chanteur Perry Gordon enrobe les jambes d’une danseuse imaginaire. Frôlement, entraînement, douce sensualité pour ce morceau. La clarinette s’enroule sur les hanches impudiques. La guitare s’enhardit sur les épaules virevoltantes. Serait-il question d’amour ?

Reprenons. La frivolité reste le meilleur des remèdes ? Un charleston de derrière les fagots Rosetta ; désir, soyons amoureux, à petits sauts, au moins ce soir, le vent de l’océan nous y invite, nous le permet…

Wrap your Troubles in Dreams et Woody Allen apparaît. La clarinette l’appelle, ça crève l’écran ! Sirupons la ballade aux sons délicieux des instruments adoucis. Le crooner nous promène le long de la plage, la nuit devrait indécemment favoriser l’instant qui s’allonge comme un chamallow réchauffé au feu improvisé sur la plage encore tiède.

Ça n’est pas repartir en arrière, mais profiter de l’instant, celui-là même qu’il faut saisir aujourd’hui avant de lui trouver de la profondeur. Nous ne savons pas comment !

Japanese Sandman : démultiplions le binaire, découpons-le et puis étirons-le par moments pour en relever toute la saveur. Plaisir gratuit, fulgurant, le temps de deux temps, d’une danse sautillante, quelque fantaisie qui retombe sur ses pattes.

La trompette aux accents sensibles a décidé d’émouvoir la clarinette rapidement consentante avec Tin Roof Blues ; le duo dodeline, association heureuse. Le tempo est insistant pour chercher un tremolo dégourdissant. Un juste un peu où s’accorde pourtant le moindre, battement d’un cœur engourdi par les effluves de la joie ou assourdi par le rythme, juste lui, qu’on entend comme une musique, la musique justement.

T’ain’t No sin pour tourner indéfiniment : ronde heureuse de l’insouciance comme conviction, choix provisoire, sans doute…

Anne Maurellet

Carte AJ