Salon des musiques/ Rocher de Palmer / Cenon Bordeaux

12 /02 2020

Texte :Annie Robert
Photos : Alain Pelletier

La photographie de Jacques Prévert est si célèbre qu’on l’a tous dans le fond de la pupille… Elle distille une image de doux poète, simple, accessible, la cibiche coincée entre les lèvres, le regard tendre, la rondeur enveloppante, le mot rassurant. Certains de ses poèmes sont connus de tous comme des refrains très chers, appris par les bambins en chansons-doudous et l’on ne compte plus les écoles qui portent son nom.
Et pourtant, c’est oublier bien vite qu’il est un homme coincé entre les deux guerres, un être de combat, un anarchiste libertaire , un «rêveur ou un artisan plutôt que poète» comme il se définissait lui même et que la partie noire, politique, contestataire, surréaliste de son œuvre est sans arrêt présente derrière une bonhomie de façade. Elle se double d’un travail étonnant et novateur pour son époque sur les mots, les calembours, Ses poèmes fourmillent de jeux de sons, de combinaisons pour l’oreille (allitérations, rimes et rythmes variés) qui paraissent faciles, mais dont Prévert fait un usage savant et révolutionnaire, du pain béni pour les musiciens.
Du coup on comprend mieux pourquoi Prévert et ses mots en rimes ont fasciné André Minvielle, vocalchimiste de son état et le quintet de jazz Papanosh dont la liberté de ton est l’épine dorsale.

Mais, ces six là sont gonflés quand même car d’autres avant eux ( et pas des moindres..Kosma ou Sebastian Maroto ) s’y sont coltinés avec réussite et bonheur. Le pari est osé et le risque pas anodin, faire du réchauffé ou du platement illustrant. Mais les cinq jeunots et leur aîné ont plus d’un tour dans leur sac et la créativité intelligente et sensible.

Ils ont choisi une douzaine de poèmes moins connus, mais d’une percutante actualité: «Des petits plats dans les grands», absurde et grinçant, un «Cortège», martial, ridicule et tragique, «La guerre» où l’armée n’ a pas bonne presse, pas plus que les tenants du pouvoir. Ou bien « La Grève » dans lequel Prévert dénonce le «bordel capitaliste» et la hargne des possédants. «Les belles familles , » L’amiral  larima », l’absurde et délicat « Quartier Libre » et le joli  « Alicante » soyeux comme une orange mûre. Les choix sont judicieux et il est frappant d’ entendre à quel point ces poèmes sont en résonance avec le monde d’aujourd’hui, un monde qui ne tourne pas vraiment rond, qui s’étripe et se mesquine, mais qui se bat et peut sourire.

Et surtout la mise en musique signée majoritairement Papanosh est d’une belle inventivité, énergique, syncopée, swinguante avec des musiques à rire et à danser, des farandoles grinçantes, des marches martiales, des échanges délicats, de l’humour en milles notes, de la dérision, des arpèges de piano. Le punch d’une salsa et les couleurs d’une vie… Pour chaque poème, une entrée nouvelle et surtout parfaitement adaptée, sans redites , sans effets excessifs, parfois en contraste, parfois pour souligner… c’est intelligent et sensible et bien sûr interprété de façon parfaite. Entre le quintet et Minvielle, on ne se marche pas non plus sur les pieds, le collectif est réel, soudé et cela donne une musique ailée, qui fait scintiller l’univers du poète. C’est vraiment une réussite respectueuse , joyeuse, virtuose. Les poèmes de Prévert y trouve un nid ou une écharde, un écrin dans tous les cas.

Le coeur se fend avec les « Etranges étrangers », s’amuse avec encore avec « La brouette » , se délecte avec « Destiné » et sa musique de limonaire et se réjouit avec ce « Chant Song », si inventif, si libre.Le répertoire se termine avec « Séganagramme », paroles de Minvielle et musique de Raphaël Quenehen.

Le rappel se fera avec la malicieuse suite des « Louis », Louis I, Louis II , Louis III et qu’est ce que c’est que ses gens qui ne savent pas compter jusqu’à XX !! » que la salle chantera avec plaisir sous leur impulsion.
Loin des conventions, ce « Prévert parade » est une belle nécessité, à la fois populaire et savante, imprégné d’humour et d’une belle folie…( j’aurais juste aimé un diaporama arrière plus varié, plus travaillé sans doute, mais c’est une critique à la marge…) un hommage créatif à Prévert et son univers dense, tragique et joyeux à la fois, son regard tendre, enfantin mais sans esquive.

André Minvielle, chant, percussions
Quentin Ghomari, trompette, trombone
Raphaël Quenehen, saxophones
Romain Clerc Renaud, clavier, piano
Thibault Cellier, contrebasse
Jérémie Piazza, batterie