Lionel Beuvens «49 Steps to Heaven»
chez Hypnote Records
Par Patrick-Astrid Defossez
Lionel Beuvens (batterie) / Kalevi Louhivuori (trompette) / Alexi Tuomarila (piano) / Brice Soniano (basse)
« … c’est bien du Lapon !… »
La difficulté d’une critique réside toujours dans le choix du versant par lequel celle-ci va être posée et ce, afin de dégager les pépites de l’album concerné que nous écoutons toujours une première fois à l’aveugle… mais voyons voir une fois (maar kijk een keer si vous voulez).
À la réception de l’album, à la lecture des éléments de pochette, nous nous sommes de suite demandé : y-a-t-il un quelconque rapport avec le célèbre Seven Steps to Heaven de Miles Davis ? Est-ce l’ascension des marches inatteignables de la perfection qui est ici envisagée ? Quelques velléités initiatiques au chamanisme discrètement invité ? À moins qu’il soit question de « steppe » (donc d’espace, étendue, …) dont il est ici symboliquement fait référence. Aaaahhhh le mystère des titres. Pour nous, l’album est d’obédience nordique (et non africaine comme nous avons pu le lire dans un récent article français), ça sonne le cercle arctique, la neige que l’on peut
définir avec plus de cent mots différents. L’espace de cet album est d’ailleurs pensé pour Kalevi Louhivuori qui tient magnifiquement les rennes poétiques de l’équipe, il ne fallait donc pas briser son élan. Ayant fait nous même quelques expériences de concert avec le saxophoniste Mikko Innanen, nous reconnaissons une certaine pensée du son, de l’espace, des timbres.
Mais approfondissons. La couleur de l’introduction de l’album, que nous qualifierions de baroque, est magique (et crottes alors, souvent en jazz, une trouvaille est faite et on passe aussitôt à autre chose, dommage). Cette combinaison, contrebasse à l’archet et trompette (voir bugle) vraisemblablement sans embouchure lui conférant une sonorité flûtée, donne au duo une couleur de registre de Grandes Orgues, une de nos grandes délices.
Cet album pourrait nous faire également penser aux ambiances développées dans ceux de Niels Petter Molvaer mais sans électronique ici. Les écritures et improvisations se confondent très chaleureusement et permettent à l’excellent trompettiste finlandais Kalevi Louhivuori de déployer toute sa palette sonore et somptueuse expressivité. Beaucoup d’inspirations dans l’architecture de cet album qui nous font penser à un ensemble « d’états compositionnels différents aux conditions improvisationnelles multiples » plutôt qu’à un projet à cohérence unitaire forte même si d’évidence il y en a une présente.
Les contrastes compositionnels y sont nombreux dans ce jazz contemporain où les espaces, les timbres sont plus évidents à percevoir que de simple thématiques mélodiques, mais ces compositions, aux motivations rythmiques tantôt symétriques tantôt asymétriques, ne révèlent que peu de développement (dans le sens du développement classique du discours s’entend), celles-ci privilégiant les grands espaces d’improvisations mâtinés de timbres et coloris. D’une certaine manière, une fois la cellule rythmico-harmonique posée peu de choses se déploient, se mutent, mais n’est-ce une réalité des pays et régions du grand Nord lorsque les espaces gelés nous offrent la vue-son d’étendues infinies propices à l’imaginaire ?
Nous y souscrivons. Nous comprenons que le développement du format temporel des différentes plages (notez que nous ne les appellons ni morceaux ni titres) est plus important qu’une logique académique. Et c’est ce que nous aimons en tant qu’auditeurs, lorsque chaque espace compositionnel met en scène de multiples types d’improvisation, et ici Kalevi Louhivuori le fait admirablement.
Nous avons également aimé – nous l’imaginons ainsi – lorsque le trompettiste dans sa cabine d’enregistrement quitte de temps à autre son micro afin de créer un effet d’éloignement, donnant de fait la lecture de l’espace dans lequel l’enregistrement se déroule.
Au quasi milieu de l’album, nous écoutons une pièce quelque peu ternaire avec une/des voix, ma voisine me dit « … ah ça sent l’Afrique… » je lui réponds non sans humour « non, c’est Lapon ! », et bien finalement, je ne m’y suis pas trompé … une certaine transe rythmique cohabitante avec le calme des espaces est très bellement déployée tout au long de cet album.
Un élément confondant, troublant même, qui aurait pu être très intéressant est celle de l’exploitation du double piano : piano acoustique / piano Rhodes. Mais ces deux-ci lorsqu’il se parlent, s’opposent, accompagnent (« comp »), ils se marchent bien souvent sur les pieds sans réelle distinction de jeux ou de discours. Normal nous direz-vous, ce sont deux pianistes qui jouent tous deux du piano, donc ont les mêmes réflexes de doigtés jazzistiques, les mêmes arc-réflexes culturels, quasiment les mêmes archétypes phraséologiques, donc difficile d’éveiller en nous un intérêt majeur dans cette combinaison. Mais que recherche donc Lionel Beuvens avec cette combinatoire ? D’autant que le Rhodes en question (instrument original ou émulation informatique ?) est dénué d’attaques, dépourvu de ce début de note-son qui dynamise, donne de l’élan, nous avons ici un piano acoustique avec attaque et un Rhodes sans, son timbre pâteux dans le bas-médium le ramolli d’autant. Nous nous interrogeons donc, pourquoi… le débat est à poursuivre. D’une point compositionnel et improvisationnel l’exploitation en l’état de ces deux types de clavier n’est guère probant à mon sens.
Ahah sacré Franck Vaganée (saxophone alto), en voilà un qui joue de l’alto comme du ténor ! Il arrive à jouer l’alto en déployant une sonorité chaude et puissante de ténor, très beau !! La qualité audiophilique de l’album est très agréable. Nous nous demandons néanmoins pourquoi les instruments (à l’exception de la batterie) sont à l’arrière ? Nous ressentons bien l’arc de cercle tel que nous pourrions découvrir l’équipe artistique sur scène mais quelques fois les beaux discours du pianiste sont confinés au second plan, … ??
Un excellent album d’un confrère belge, bravo fieu, bravo Lionel (et comment va Éve) !!!