L’Esprit du Piano à l’Auditorium de Bordeaux

Kenny Barron trio

par Philippe Desmond (pas de photo possible durant les concerts ici)

Auditorium de l’Opéra de Bordeaux, dimanche 24 novembre 2024.

Kenny Barron : piano / Kiyoshi Kitagawa : contrebasse / Johnathan Blake : batterie.
https://kennybarron.com/

Dépositaire d’une certaine tradition du piano jazz-moderne, Kenny Barron a déjà derrière lui une carrière folle. Né en 1943, il a en effet joué avec tout le monde, en particulier les plus grands : Stan Getz, Dizzy Gillespie, Yusef Lateef, Freddie Hubbard, Ron Carter, Chet Baker, Ornette Coleman, Joe Henderson, Buddy Rich… Impressionnant ce monsieur. Capable de s’adapter à tous les styles, d’improviser ou d’accompagner comme le ferait Herbie, Hancock, McCoy Tyner, Oscar Peterson il est présenté comme un des stylistes du bebop.

Pour ce concert, en pleine tournée européenne, il se présente avec deux fidèles sidemen qui eux aussi ont des parcours brillants. Un tel trio de légende à Bordeaux est rare et a de quoi réjouir a priori ceux qui ne jurent que par les Américains ! Son dernier passage dans la région date de juillet 2022 au festival de Monségur.

La salle affiche complet, à quelques sièges près, pour ce concert de prestige dans le cadre du festival l’Esprit du Piano https://www.espritdupiano.fr/

L’éclairage est sobre, chaque musicien éclairé par une douche lumineuse, le concert quasi acoustique comme souvent ici. « For Heaven’s Sake » pour commencer en douceur et de suite ce toucher de piano délicat et virtuose ; le Maître est bien là. Contrebasse et batterie menée aux balais l’accompagnent avec légèreté. Étonnant de voir le très massif Johnathan Blake caresser ainsi sa batterie aux cymbales disposées à plat ; il nous montrera assez vite la force de frappe dont il dispose…

Nous voilà partis pour un concert type de be-bop en trio. On peut trouver le genre convenu, l’exposition du thème et l’impro au piano, le chorus de contrebasse, le solo de batterie en « 4,4 » on connaît, mais à ce niveau là c’est autre chose, c’est du grand art. Kiyoshi Kitagawa est très volubile et invente sans arrêt avec ses cordes, quant à Johnathan Blake il est tout simplement époustouflant, alliant finesse et puissance, faisant vivre ses cymbales, ponctuant le tempo avec autorité, variant les effets ; quel batteur ! Ce n’est pas pour rien qu’il a été désigné meilleur batteur étranger de l’année 2024 par nos confrères de Jazz Magazine.

Avec un tel accompagnement Kenny Barron – comme s’il en avait besoin – a toute liberté pour nous proposer sa musique, celle qu’il invente autour de standards entendus mille fois et qui pourtant ici semblent tout neufs. Voilà la jolie ballade « The very thought of you » où le trio se fait aérien, puis « Sunflower » le latinisant « Sunshower » qui de son tempo et de son lyrisme au piano va nous embarquer bien loin avant qu’en solo Kenny ne nous évoque Duke Ellington et son complice Billy Strayhorn. « Love for sale » gagne en punch avec la version que nous propose le trio, on redécouvre ce titre dont la version chantée avait à l’époque été interdite, sujet trop sensible. Quelle noblesse chez ce Barron, digne de ses collègues de l’aristocratie pianistique Duke et Count.

Le trépidant « Bud Like » , hommage de Kenny à Bud Powell un de ses pianistes préférés, va donner l’occasion à Johnathan Blake de faire trembler l’Auditorium avec un solo d’un autre monde ; rarement vu ça…

Public debout pour un rappel avec « Cook’s Bay » et sa mélodie tendrement sautillante concluant ainsi près d’une heure trois-quarts de bonheur musical.

Bye bye Mr Barron mais revenez quand vous voulez !