Keyon Harrold à la Grande Poste

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

La Grande Poste, Bordeaux le 19 novembre 2024.

1500ème article de ce blog depuis sa création en décembre 2017…

Depuis un certain Louis Armstrong les trompettistes ont été en première ligne du jazz y créant même certains courants. Les citer tous, même seulement les plus grands, serait beaucoup trop fastidieux. Une nouvelle génération de trompettistes américains par contre est apparue depuis quelques années, les Theo Croker, Chief Adjuah, Philip Dizack, pour n’en citer que trois, conduisent le jazz dans diverses directions. Keyon Harrold né en 1980 est lui aussi un musicien bien dans son temps comme le montrent ses collaborations avec Jay-Z, Rihanna, Beyonce, Eminen, Snoop Dog. On le retrouve aussi auprès de Gregory Porter, David Sanborn. Il est aussi dans la mouvance de Robert Glasper avec qui il collabore. Il a été choisi pour assurer les parties de trompette dans le biopic sur Miles Davis « Miles Ahead ». Il est donc ouvert aux courants musicaux actuels qui enrichissent ainsi sa musique sans pour autant renier les plus anciens comme le concert va nous le prouver.

La Grande Poste et Cat et Fat Cats, fidèles à leur exigence de qualité et leur amour des découvertes, après avoir reçu Jeremy Pelt, Jérôme Sabbagh, Guillaume Perret, Jowee Omicil (qu’on peut voir campant Sammy Davis Junior dans le film Monsieur Aznavour !) Gerald Clayton… ont donc invité le trompettiste en formation… Et le public a suivi, c’est plein.

Ce soir ils seront six sur scène pour nous jouer le répertoire de l’album « Foreverland » : Keyon Harrold : trompette, voix / Chad Self aka Asar The Ambassador : claviers / Dan Winshall : basse / Matt Sewell : guitare / Cleon Edwards : batterie / Malaya Watson : chant.

C’est à quatre qu’ils démarrent pour mettre en valeur l’arrivée de Keyon sur scène ; beau gabarit, costard ample, Ray-Ban sur le nez, l’archétype du musicien branché new yorkais. La rythmique est tonique et assez vite Keyon entre en chorus. On comprend ainsi immédiatement à qui on avait affaire ; un sacré trompettiste, créatif mais pas exubérant, mélodieux et accessible, au phrasé clair et au son naturel. Derrière ça ronfle grave même si dans cette salle difficile à sonoriser on n’en perçoit pas complètement toutes les nuances . Mais les oreilles finissent par s’adapter.

Un solo de basse lance « The Intellectual », un tempo lent, profond, une trompette lumineuse et parfois flamboyante mais sans tapage. Un thème s’infiltre tout à coup dans le titre initié par Keyon, c’est « Nature Boy » , une longue citation avant un emballement et une succession de chorus, trompette, guitare en mode bas de manche, piano, la tourne rythmique proposée par la basse et la batterie liant le tout. Une longue suite où le public est invité à chanter et où après un solo de batterie arrivent quelques riffs de « Spain » plutôt version Al Jarreau que Chic Corea ; du grand art.

Une ballade maintenant une trompette délicate d’où quelques rugissements surgissent parfois, plus qu’une citation de « Over the Rainbow » et ainsi toujours ces références aux standards, ces passerelles vers l’histoire du jazz. Très appréciable.

Voilà Malaya qui arrive sur scène, une tasse à café dans une main, un verre de bordeaux dans l’autre, cool dans son baggy. C’est parti pour « Find your peace » que nous présente Keyon par un message de paix donc, d’amour, de justice, un peu convenu peut-être mais traduit sincèrement musicalement. Mais c’est surtout dans « Don’t lie » que Malaya va épater la salle, elle va faire rayonner cette ritournelle portée par un combo à l’apogée. Expressive et complice avec la salle, proposant un large registre, elle va nous captiver.

« Beautiful day » en rappel ce qui ne pouvait pas mieux tomber ce concert arrivant le jour de l’anniversaire de Keyon, Fatima l’organisatrice s’approchant discrètement du trompettiste en train de jouer avec un gâteau et les bougies célébrant ses 44 ans. Et bien évidemment un « Happy Birthday » de la salle accompagné par les musiciens. On pourra se vanter d’avoir chanté avec ce groupe ! Et comme on est bien sur scène et dans la salle, c’est un deuxième rappel qui nous est offert, ponctué d’un long passage de « Round Midnight ».

Du jazz moderne, aux sonorités hip-hop parfois, aux arrangements soul aussi, conscient de l’histoire et du passé tout en témoignant de sa propre époque. Bravo.

PS : cherchant à l’issue du concert à connaître le nom des musiciens, c’est Keyon lui-même qui les a écrits sur mon carnet ; petit détail mais reflétant le bon esprit du musicien et sa modestie, il a même noté son propre nom – et en dernier – comme si je ne savais pas qui il était…


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