Henri Texier : sept au Cube
« An Indian’s Life »
par Martine Omiecinski, photos Nicole Weber (au smartphone et au pied levé, PhM empêché)
Le Cube, Villenave d’Ornon (33) le 15 novembre 2024
Henri Texier : Contrebasse, compositions / Himiko Paganotti : Chant, Récits de texte / Sébastien Texier : saxophone alto, clarinette / Sylvain Rifflet : Saxophone ténor / Carlo Nardozza : Trompette, bugle /Manu Codjia : Guitare / Christophe Marguet : Batterie
Le Cube, cette belle salle située dans un endroit improbable, animée par une équipe accueillante propose quelques concerts de jazz chaque année, toujours de très bonne qualité.
Un concert d’Henri Texier est toujours gage d’humanité, de créativité, et bien sûr de très bonne musique. En termes d’humanité, « An Indian’s Life », représente son dernier volet (disque) clôturant sa trilogie consacrée à l’histoire malheureuse des indiens d’Amérique, source d’inspiration pour Henri qui s’intéresse à l’autre, la représentation féminine de ce peuple : « Apache Woman » ouvrira le « bal ». Concernant la créativité, elle est bien sûr dans ses compositions et son jeu mais aussi dans ce spectacle particulier où viennent s’immiscer dans les morceaux de musique des textes de Jacques Prévert récités par Himiko Paganotti sur le thème des oppressés et des démunis en écho aux Indiens. Quant à la qualité de la musique, Henri Texier s’est toujours entouré de la fine fleur possédant comme lui inventivité, sensibilité et brio….Il ne déroge pas ce soir !
Henri le maestro entame vivement le concert par quelques accords profonds sur sa contrebasse, tous le rejoignent au galop pour cette « Apache woman » éclairée par la voix de Himiko Paganotti, Manu Codjia sensitif et sincère dialogue avec un Christophe Marguet très percutant (ce batteur, co-leader de Sébastien Texier sur plusieurs disques remplace Gautier Garrigue ce soir) Les 3 soufflants se succèdent avec panache.
Changement complet de tempo pour un « Black Indians » inspiré évoquant les noirs accueillis autrefois par les Indiens de la Nouvelle Orléans lors de l’esclavage. Himiko lit un texte de Prévert, déni d’humanité sur lequel les instruments font écho : déchirantes cordes de Manu échangeant avec un Henri dans la révolte, Sylvain incisif et vindicatif enchaine suivi d’un dialogue de Carlo avec Sébastien « free style » réjouissant. Un solo tout en rondeur d’Henri vient temporiser avant un déferlement collectif final ! Waouh le public s’emballe !
Sur un « Sand Woman » (disque de 2018 d’Henri Texier) plus swingant la clarinette de Sébastien part en volutes émouvantes, la trompette de Carlo se fait vibrante, le ténor de Sylvain enchaîne les arabesques improbables qui prennent les tripes. L’âme du maestro vient tout en finesse caresser la contrebasse.
« Hopi Hippie » Sylvain nous offre une improvisation aussi étonnante que spectaculaire suivie par Sébastien, Carlo et Himiko dans une « descarga » énorme. Un plus lent et lyrique solo de trompette calme le jeu, Christophe aux mailloches puis balais vient finement en soutien, Henri prend le solo suavement puis initie un dialogue avec la batterie tressant même une baguette dans les cordes de sa contrebasse.
« Black and Blue », ce standard de Fats Waller évoquant le racisme nous invite à travers la chaude voix d’Himiko et la tempérance de chaque instrument à nous ouvrir à l’autre.
« Dakota Mab » (sur le disque de 2015 « Sky Dancers » 2ème volet de la trilogie « indienne ») nous entraine dans une chevauchée fantastique avec les bisons, le groove est incroyable, les musiciens sont habités par cette histoire que raconte Himiko, les cordes chantent, les soufflants rivalisent d’ingéniosité, quelle énergie ! Le public adhère !
Un dernier morceau est marqué par un dialogue magnifique entre Manu Codjia et Henri Texier, un long solo de batterie éloquent, des fulgurances de Sylvain au ténor, Carlo à la trompette, Sébastien à l’alto et Himiko avec Prévert. Le public en redemande !
Le rappel tout en sensibilité nous propose « Steve et Carla » cet hommage d’Henri à 2 musiciens d’exception : la grande pianiste et compositrice Carla Bley et son époux Steve Swallow contrebassiste américain. Après une belle intro orientaliste à la contrebasse imitant le « oud » (mon voisin mélomane me dit que sur son premier disque Henri jouait du « oud » !), Christophe imprime souplement le tempo, les soufflants font vibrer bugle, clarinette et ténor, Manu et Henri grattent voluptueusement leurs cordes pour un final en apothéose. Le public est heureux, un public averti récompensé d’avoir fait l’effort de venir jusqu’ici !
Merci Monsieur Texier humaniste et brillantissime musicien !