Jacky Terrasson en solo à l’Auditorium de l’Opéra de Bordeaux

par Philippe Desmond

Lundi 27 novembre 2023.

Tout comme l’Opéra de Bordeaux qui dans son Auditorium le reçoit, le festival « L’Esprit du Piano » accorde de la place au jazz : récemment Rolando Luna, ou encore Rémi Panossian à Sciences Po et Paul Lay au Rocher de Palmer

Ce soir c’est Jacky Terrasson, désormais Bordelais de cœur, qui a carte blanche, en solo. Il nous a accordé une interview quelques jours avant ; lien ici : https://wp.me/pdxYN8-9sy

Exercice jamais facile pour un pianiste quel qu’il soit de se produire ainsi seul, capté par tous les yeux et toutes les oreilles du public ; une mise en danger pleine d’adrénaline nous avouent-ils en général.

Début tout en délicatesse avec « Never let me go » joué en carressant le clavier du superbe Steinway & Sons, seule exigence du pianiste lors de ses concerts. Public capté instantanément, il le restera tout le concert.

Le clavier se fait maintenant tumultueux, orageux, les parapluies sont de sortie, ceux de Cherbourg. Voilà une version sublime et profondément dramatique de « Je ne pourrai pas vivre sans toi ». Michel Legrand revisité, réinventé par un Jacky Terrasson inspiré, faisant corps avec son instrument. Tellement émouvantes ces larmes de piano, puis ces basses nostalgiques marquant la fin de l’histoire.

Le swing arrive mais Jacky brouille les pistes, le concert va se transformer pour moi en une sorte de blind test. Dans son interview il nous donne sa définition du jazz « La musique improvisée sur des thèmes donnés » nous y sommes en effet, le thème ici j’ai presque failli ne pas le reconnaître, j’ai ainsi failli rater le « A Train » de Duke Ellington, vraiment exposé dans les toutes dernières mesures. Osé mais tellement riche.

Le traitement des « Feuilles mortes » sera du même acabit, Jacky le rendant garnérien avec ses grognements et ses coups de talon. On est vraiment dans le jazz, cette liberté, cette inventivité permanente. Une valse maintenant, quel pianiste romantique mais aussi plein de fantaisie, quelques accords de la Marseillaise concluant le titre. Main gauche virevoltante rythmiquement, main droite volubile sans excès, la frontière est parfois ténue entre le jazz, la musique contemporaine ou le classique ; mais toujours de la musique, de la belle musique, sensible et pleine d’émotion.

Avec une lenteur infinie jacky nous transporte « Over the rainbow » y ajoutant un peu de blues et osant des accords audacieux à la dissonance maîtrisée. Un régal.

En voilà du Blues et c’est du bon croyez-moi comme dit l’autre, suivi par une ballade peut-être « Nantes » de Barbara. Nous voilà maintenant plutôt dans les Caraïbes, le tempo est plus enjoué, je comprendrai seulement à la fin que c’était « Saint-Thomas » !

Savait-il seulement lui-même ce qu’il allait jouer ce soir. Quand à la fin Jacky s’adressera à nous pour nous préciser ce qu’il avait joué il n’arrivera pas à tout retrouver, c’est le public qui l’aidera !

Rappel bien sûr, tout le monde en veut encore, on est si bien dans ce cocon musical de très grand confort. Une « caravan » chargée de notes et ne manquant pas de sel, s’avance à bonne allure, perd son chemin, le retrouve, fait une courte halte à l’oasis et repart de plus belle ; une version solo extraordinaire de créativité. C’est « Misty » qui apparaît maintenant, ce titre légendaire d’Erroll Garner pianiste trop oublié à mon goût, pas par Jacky Terrasson ; le temps brumeux (misty) scintille ici de diamants. Quel enlumineur de partitions (qu’il n’a pourtant pas devant les yeux) ce pianiste !

Troisième rappel réclamé et pour que nous repartions avec le sourire, Jacky nous offre un très délicat « Smile ».

Il manquait juste un titre à cette soirée ; je ne l’apprendrai qu’une fois le concert fini, c’était ce soir l’anniversaire du pianiste. Alors avec un peu de retard « Happy Birthday » Jacky Terrasson !

Anniversaire

PS : une constatation, les épidémies courent toujours à Bordeaux à entendre le nombre de toux dans le public… Keith Jarrett serait parti en claquant le couvercle de son piano ! Merci Jacky d’être resté.

Interview : https://wp.me/pdxYN8-9sy