La Rochelle Jazz Festival 26ème édition

jours 3 et 4

Signé NN et Vince, photos Philippe Blachier (cliquer pour agrandir)

Samedi 14 octobre 2023 : Souffles nouveaux
Après l’apéro concert traditionnel assuré par Julia Richard-Laborde (chant, contrebasse), Habert (guitare), Ronan Ristord (batterie), la troisième soirée du festival propose une soirée marquée par le vent qui soufflera dans le sax de Lakecia Benjamin et la trompette de Daoud.
Comme d’habitude, le festival de La Rochelle a le bon goût de mettre en avant les étoiles montantes du jazz français dont les premiers pas faits avec les plus grands, sont l’occasion de se montrer à un public neuf mais toujours curieux… c’est l’esprit jazz.
Vainqueur du tremplin Jazz Connexion 2022, un millésime très relevé (déroulé lors de Jazz en Ré), une des figures de la nouvelle vague française, le trompettiste Daoud, nous présente des compositions originales très enlevées aux influences hip-hop, RnB et jazz.


Look de rappeur, entre humour stand up et concert conceptuel, Daoud et ses potes nous plongent dans leur univers facétieux. Ils envoient des compos très énergiques au son jazz pop électro, on passe un bon moment rafraîchissant. Le quartet qui accompagne Daoud (alias Luc Klein) est assez atypique ; Étienne Manchon (claviers), Félix Robin du groupe Capucine (vibraphone), Louis Navarro (contrebasse), Guillaume Prévost (batterie). Tous ces musiciens sont vraiment pointus, malgré leur vingtaine d’années chacun ; virtuosité aux claviers, netteté impeccable de la contrebasse, couleur percussive du vibraphone, précision de la batterie. Cet écrin sonore acoustique et électrique irréprochable permet à Daoud de faire découvrir son jeu contrasté, tantôt puissant, tantôt suave et de laisser libre court à sa fantaisie débordante. Ses titres en attestent : « Ford focus 1999 », « Oui », « Rugby à 7 », « L’œil de Jules » (hommage à son chat borgne), « Quick [le restaurant] » précédent deux rappels, réclamés par un public séduit. Surfant sur la vague trompette électro médiatisée par ses aînés tels qu’Erik Truffaz et Ibrahim Maalouf, Daoud ne peut éviter la comparaison, mais réussit à se frayer une voie nouvelle qui devrait le mener loin.

Lakecia Benjamin « Phoenix »

En 2020, sur son troisième album, « Pursuance The Coltranes », la saxophoniste new-yorkaise Lakecia Benjamin choisissait de revisiter en une seule pièce, des compositions de musiques de John et Alice Coltrane. Cette audace est aussi bien reconnue par le grand public que par ses pairs avec lesquels elle collabore : Marcus Miller, Christian McBride, Stevie Wonder, Gregory Porter…

Phoenix, son quatrième album donc, produit par Terri Lyne Carrington n’est pas une totale renaissance artistique, mais la confirmation de sa fulgurante ascension, comme en témoigne la présence des artistes invités en studio ; Dianne Reeves, la rappeuse Georgia Anne Muldrow, la pianiste Patrice Rushen, la poétesse Sonia Sanchez, Angela Davis ou encore Wayne Shorter…

Ce projet est certainement davantage une revanche sur la vie qui ne l’a pas épargnée ; fin 2021 sa voiture fait une sortie de route et s’écrase dans un bois à l’envers dans un fossé. Lakecia subit de nombreuses blessures : l’omoplate droite et trois côtes cassées, un tympan perforé et la mâchoire brisée, ce qui aurait pu compromettre sa carrière. L’album parle de ce nouveau départ à la suite de cet accident, mais aussi de la résilience après la disparition de sa jeune sœur, puis récemment face au Covid-19 qui a tué quinze membres de sa famille. Il repose aussi sur un fond politique, abordant la question du racisme et de la place des femmes dans la société américaine.

Sur scène, arrimée à son sax alto elle interprète ses compositions, appuyée par Zaccai Curtis (piano), Ivan Taylor (contrebasse) et Ej Strickland (batterie).

Pour la dernière soirée de sa tournée en France, son entrée sur scène est très énergique, peut-être un peu trop, le son saturé du micro paraissant un brin agressif. Côté look, elle a tout emprunté à Mile Davis, de la combinaison dorée et argent aux lunettes pare-brise.

Le son du sax ténor est tendu, le phrasé très articulé, chaque note est un coup de poing qui frappe net. Après un morceau d’intro hard bop, les titres de Phoenix s’enchainent : « Amerikkan skin » (où Angela Davis assure habituellement la partie Rap), « Rebirth » titre plus mélodique, où le piano et l’orgue sont mis en avant avec un chorus colossal.

Le titre « Coltrane celebration » hommage à John et Alice emprunte le thème « my favorite things » pour construire une conversation nerveuse entre le sax, la batterie et le jeu très musical et particulièrement technique du pianiste Zaccai Curtis. Suivent « Jubilation » dont l’intro en solo de batterie et la nervosité du rythme soutenu électrisent Lakecia. Entre les titres, son discours revendicatif et peaceful à la fois, semble parfois en décalage avec le propos musical. Avant de conclure son set, juste accompagnée du piano, elle propose une version personnelle de l’universel « Amazing grace » après un long monologue au sax.

Ainsi, s’achève cette bourrasque musicale étonnante du samedi soir.

Dimanche 15 octobre 2023 : Sixun, le retour

Enfin, les voilà de retour, Louis Winsberg (guitares), Michel Alibo (basse), Paco Sery (batterie), Alain Debiossat (saxophones), Jean-Pierre Como (claviers) et Stéphane Edouard (percussions et chant).

Depuis le temps, qu’on l’attendait ce sextet mythique, créatif et intemporel, de nouveau reformé pour le plus grand plaisir de nos oreilles sensibles au métissage, véritable ADN de ses créations.

Le public conquis, acquis d’avance est venu en nombre malgré la concurrence déloyale du ¼ de finale de coupe du monde de rugby, France vs Afrique du Sud.

Le concert est tout simplement exceptionnel. Sur scène, le plaisir de jouer transpire de chaque note, et le mélange de titres anciens et récents (cf. chronique album Unixsity https://lagazettebleuedactionjazz.fr/sixun/), donne la mesure du chemin créatif parcouru depuis les années 80.

La joie de se retrouver entre eux et avec le public rochelais est palpable et ils se sentent bien dans la salle de la Sirène, inconnue pour la majorité d’entre eux.

Ils sont beaux, en forme, aussi spontanés qu’imprévisibles, s’amusant à présenter les « très belles compositions » des uns et des autres, dans une bonne humeur communicative.

Ils donnent tout, et cet enthousiasme, cette bonne humeur combinés à la musicalité des chorus, à la vélocité instrumentale et aux subtilités du jeu, font de cet unique set du dimanche, un moment aussi unique.

Alain Debiossat, le régional de l’étape originaire de Confolens, est dans une forme éblouissante. Il conduit son « pack » de musiciens, tel un capitaine sur le terrain. Sur le titre « Very Sixun trip » du dernier album « Unixsity », le tempo tourne au reggae et Michel Alibo s’envole en solo comme pour marquer un essai. Louis Winsberg, jusque là resté en retrait prend le jeu à son compte avec le son du vocoder sur l’intro de « Parakali » ; jeu de funambule, sur le fil d’une mélodie subtile qui termine par un plongeon euphorique dans un embut de rythmes et de notes. Pour nous, public, ce n’est que du bonheur !

Sur « Aligogo », une ballade, « un peu énervée » de Michel Alibo, jouée en slap sur une basse Fender repeinte en rose sunset (toute une histoire…), ce dernier occupe le devant de la scène et pourfend le son, comme on percerait une défense aux abois pour marquer un essai entre les poteaux.

A peine recoiffés, que Monsieur Paco Sery prend l’affaire en mains. Comme il le dit, « ça va barder » ; « Futur », titre hommage à ceux qui lui ont tendu la main, Eddy Louis, Nina Simon, Zoe Zawinul montre que le vétéran du groupe n’a pas perdu la main et, du bout de ses baguettes magiques, nous transporte en Afrique.

Le match touche à sa fin, mais Stéphane Edouard et Jean-Pierre Como n’ont pas dit leurs derniers mots. Sur le titre « The seven keys », écrit par le premier et chorussé par le second, le duo insaisissable joue un une-deux mélodico-rythmique magistral pour une fin en apothéose.

Comme un tour d’honneur, le rappel donne l’occasion à Jean-Pierre de nous faire une facétieuse présentation du groupe en sicilien… la joie, les rires et les échanges avec l’auditoire sont au rendez-vous ce soir, comme jamais.

Ainsi se referme la 26ème édition du festival de La Rochelle, généreusement et superbement orchestré par Ludovic Denis, Laurent Pironti, Patrick Beyne, Léa Trambouze et toute la chaleureuse équipe de la Sirène où le son est toujours impeccable et les lumières soignées.

Merci aussi à Philippe Blachier pour les photos.

Une fois de plus, le Festival de Jazz de La Rochelle est une véritable réussite.

Set list :

Paesana (album Palabre)

Minor steps (album Unixsity)

Very Sixun trip (album Unixsity)

Idole (album Unixsity)

Parakali (album Nomad’s land)

(album Nomad’s land)

Futur (album Palabre)

The Seven keys (album Unixsity)

Rappel : Peniscola (album l’Eau de là )