Cyrille Aimée

Une artiste « A fleur de peau »

L’album

par Philippe Desmond

Cyrille Aimée : voix, guitare, ukulélé baryton / Abe Rounds : batterie et percussions / Jake Sherman : production, et autres instruments.

Invités : Amando Young : batterie / Wayle Tucker : trompette / Jorge Roeder : basse / Duncak Wickel – violon, violoncelle / Naseem Alatrash : violoncelle / Jay Rattman : clarinette / Michael Valeanu : guitares électrique et acoustique / Maria Cardona : voix / Jamison Ross : percus / Chloe Rowlands : trompette, bugle / Andy Clausen : trombone / le choeur de la Williamsburg School of Music dirigé par Camille Harris

Déjà le quinzième album de Cyrille Aimée qui à chaque fois nous surprend. Du jazz de ses débuts influencé par ce swing manouche qu’elle a découvert à Samois-sur-Seine, un des fiefs de Django, où elle vivait adolescente aux musiques de New Orleans, du duo voix-guitare au big band, elle promène sa jolie voix dans un répertoire des plus éclectiques.

Cette fois elle passe encore à autre chose, proposant ses compositions originales et se livrant ainsi de façon plus intime ; voir l’interview ci-après. Dix titres composent l’album proposé en CD, vinyle et streaming, dont deux reprises, le « For the Love of You » des Isley Brothers repris de façon bien tonique et, plus surprenant, le bijou de Julien Clerc « Ma Préférence ».

Cyrille Aimée c’est une voix, reconnaissable entre mille, aux intonations enfantines parfois, toujours harmonieuse et élégante, chaude et claire. C’est aussi une femme qui a des choses à dire, des émotions à partager et c’est l’objet de cet album plein de tendresse où elle nous ouvre son journal intime dit-elle. Dans sa tête depuis six ans, enrichi de compositions durant la pandémie, cet album a enfin vu le jour grâce au grand producteur américain Jake Sherman qui lui a donné la confiance qui lui manquait. Le résultat est magnifique, particulièrement soigné, Cyrille se révélant une compositrice et arrangeuse de grand talent au-delà de ses capacités vocales qu’on appréciait déjà.

Laissez-vous surprendre par cet album et redécouvrez celle que vous croyiez connaître.

Site Web de Cyrille Aimée : https://cyrillemusic.com/

Whirlwind recordings https://www.whirlwindrecordings.com/

Interview

propos recueillis par Philippe Desmond, photo Pierre Vignacq.

Samedi 9 mars 2024.

A l’occasion de son concert au festival Jazz en Mars de Tarnos nous avons pu interviewer Cyrille Aimée. Loin de l’image très sophistiquée qu’elle donne, c’est une artiste simple et sincère qui nous a accueillis dans le salon de son hôtel. A tel point que notre photographe n’a pas fait de photos sur le moment, Cyrille était trop comme à la maison, nature.

Action Jazz : Merci Cyrille de nous accorder quelques minutes. Nous avons reçu votre album il y a peu et je l’ai écouté avec bonheur mais aussi une certaine surprise car il marque un changement dans votre répertoire déjà très éclectique. Un changement de fusil d’épaule encore une fois ?

Cyrille Aimée : j’en ai beaucoup des épaules ! Cet album est un peu pour moi une naissance , c’est mon album le plus personnel, le plus intime parce que ce sont mes chansons. J’ai l’impression de publier mon journal intime. Ca fait plus peur et ça fait plus de poids, il y a plus de risques mais je me sens aussi beaucoup plus mature grâce au courage d’avoir sorti ça.

AJ : vous n’avez pas peur de désarçonner le public ? Certes vous êtes avant tout chanteuse, vous avez déjà chanté de tous les styles, de la Javanaise de Gainsbourg aux standards de jazz en passant par des titres de Michael Jackson ou Donny Hathaway mais ici on est dans un registre éloigné du jazz.

CA : mon public m’aime en tant qu’artiste et cet album c’est encore plus moi et hier soir à la salle Gaveau où j’ai fait ce répertoire c’était magique. Ça donne tellement de baume au cœur de se livrer ainsi, à nu ; on sent qu’on touche les gens. Ça donne à chacun la permission d’être vulnérable, de se livrer aussi.

AJ : vous sentez que vous vous livrez davantage qu’en chantant un standard ?

CA : oui, bien plus

AJ : la naissance de l’album s’est faite dans des conditions particulières, vous étiez peu.

CA : en gros la team c’est moi et Jake Sherman, le producteur, dans son salon. Jake est un super auteur-compositeur multi-instrumentiste et dans cet album il s’est occupé de mes chansons. J’avais besoin de quelqu’un qui croit en ces chansons car moi je n’y croyais pas !

AJ : ah bon ?

CA : oui, c’est pour cela que l’album a pris tant de temps à voir le jour, 6 ans. Je ne croyais pas en mes chansons et j’avais mis le projet en pause. Pendant la pandémie je suis parti de New Orleans confiné vers la jungle du Costa Rica. Là j’ai écrit énormément, la jungle m’inspirait trop et je me suis dit : finis ce que tu as commencé. Donc avec Jake c’était lui et moi dans son salon avec son ordinateur, des micros jetés par terre, genre sous le canapé, moi dans le placard à balai ! Pendant des heures et des heures en train de chercher un son de caisse claire ou autres. J’arrivais avec ma guitare, le ukulélé, lui rajoutait la basse, rajoutait les claviers. C’était vraiment produit verticalement plutôt qu’horizontalement.

AJ : le répertoire est né avant le covid ? J’ai vu qu’il y a aussi deux reprises, une des Isley Brothers et « Ma préférence » de Julien Clerc.

CA : la première chanson que j’ai écrite pour cet album c’est « Inside and out », c’était il y a six ans comme «Here» et «Back to you» ; toutes autres ont été écrites pendant la pandémie.

AJ : j’ai vu qu’il y avait des chansons qui sonnaient comme traditionnelles, en espagnol comme «Yo soy diosa»

CA : « Historia de amor » je l’ai écrite dans la jungle pendant la pandémie, c’est une lettre d’amour à la nature.

AJ : on connait votre itinéraire, Samois, la ville d’adoption de Django, New-York, New Orleans, chaque fois il fallait bouger, l’âme gitane côtoyée à Samois qui faisait surface ? Vous voilà au Costa Rica maintenant.

CA : Maria Cardona, ma meilleure amie est de là-bas ; elle chante dans l’album. Après l’école elle est retournée vivre là-bas et quand je suis allée la voir j’y suis tombée amoureuse de cet endroit et de la jungle. Juste avant la pandémie j’avais acheté un petit terrain à côté d’elle et j’y ai construit une maison. Mais je vis entre le Costa Rica et la Nouvelle-Orléans. NO c’est vraiment ma ville de cœur, c’est comme si j’avais trouvé un pantalon qui m’allait. Il y a là-bas un côté français et une grosse influence caribéenne et pour moi qui le suis ne m’étant jamais sentie 100% française ni 100% dominicaine et là c’est l’infusion ! Il a aussi la musique noire américaine qui m’inspire. Il y aussi cet esprit manouche d’ici que j’ai retrouvé à NO. La musique fait partie de la culture mais de façon profonde depuis des générations et des générations, comme chez les manouches. Ils font de la musique parce qu’ils en ont besoin comme l’air qu’ils respirent, pas pour faire carrière.

AJ : la musique y est en plus très variée

CA : tous les dimanches ils font Second Line avec des brass bands dans les rues alors que ce n’est même pas leur métier ; le reste de la semaine ils vont faire leur vrai métier, mais tout le monde sait jouer d’un instrument ou chanter. Le but c’est de partager en communauté. Et puis les gens dansent, ça me manquait à New-York.

AJ : il y a votre album « Petite Fleur » qui a été enregistré là-bas. Justement dans les concerts qui arrivent après cet album « A fleur de peau » allez-vous quand-même continuer à panacher toutes ces musiques ? Ce soir par exemple ?

CA : je n’ai pas encore fait de set list (les bandes sont déjà faites et le concert est dans deux heures trente…) mais il y aura des chansons du nouvel album, des chansons encore plus nouvelles.

AJ : déjà un nouveau projet ?

CA : je n’y ai pas encore pensé mais quand les chansons viennent il faut les attraper !

AJ : cette culture musicale éclectique vous l’avez toujours eue ?

CA : mon père est français ma mère est dominicaine, elle adore danser et la danse a été mon premier contact avec la musique. Il y avait toujours de la Salsa, de la Shatta, du Merengue à la maison. J’ai en plus grandi dans plein d’endroits, je suis née à Fontainebleau mais deux semaines après ma naissance on est partis vivre à Douala au Cameroun pour trois ans. J’ai habité à Singapour, puis aux USA. C’est pour ça que je dis que j’ai beaucoup d’épaules.

AJ : j’avais noté que vous élargissiez le chant et le champ du jazz car c’est vrai que vous êtes tout de même classée «chanteuse de jazz»

CA : il n’y a rien de pire pour un artiste que d’être classé dans un tiroir

AJ : c’est vrai que de plus en plus les frontières musicales ont tendance à bouger maintenant

CA : Jazz c’est juste un mot ; comment un mot peut-il décrire un truc aussi vaste ? Pour moi le jazz n’est pas un style de musique, c’est une manière de jouer toutes les musiques.

AJ : c’est exactement ce que je pense.

CA : ce qui m’a touchée dans cette musique qu’on appelle jazz, au tout début quand je suis tombée amoureuse de Django et d’Ella Fitzgerald, c’est le côté improvisation, le fait d’être dans le moment qui m’a séduite. On fait honneur à ce dont la musique a besoin dans l’instant, même si c’est la musique qu’on a déjà jouée cinquante fois. Qu’est ce qu’on veut transmettre à cet instant même et ça on peut le faire avec toutes les chansons, avec n’importe quel répertoire.

AJ : Parlez-nous de cette équipe de musiciens avec qui vous tournez. Elle va être stable ?

CA : on ne sait jamais, avec les contraintes des uns et des autres. Pedro Segundo c’est mon batteur préféré, Carl-Henri Morrisset le pianiste je l’ai rencontré il y a quatre jours quand j’ai joué en Espagne ; il est incroyable ! Il est génial, je suis trop contente car parfois on ne peut pas être sûr que ça va marcher. Matteo Bortone, le contrebassiste, ça fait longtemps que je joue avec lui quand je viens en Europe.

AJ : merci Cyrille et à tout à l’heure au concert. On fera la photo après.

PS : Le concert fut un vrai régal, on en parle bientôt dans le compte rendu du festival.

photo de Pierre Vignacq prise après un superbe concert