Confiné avec… Jean-Marc Montaut
Nous vivons tous une période particulièrement difficile qui bouscule notre mode de vie d’une façon totalement imprévue. Les musiciens, comme tant d’autres métiers, sont particulièrement touchés économiquement. Comme ils ne peuvent plus exercer leur art autrement que par quelques interventions sur les réseaux sociaux, nous avons pensé qu’il serait intéressant de continuer à tisser du lien avec eux par ce petit questionnaire.
Nous sommes avec Jean-Marc Montaut
Présente-toi rapidement. De quoi, avec qui, quelle musique joues-tu ?
Je suis musicien, pianiste de Jazz. Je m’intéresse à des musiques bien diverses, dès lors qu’elles me touchent. Le Jazz représente une part très importante de mon paysage musical, celui que j’aime jouer, transmettre et celui qui me nourrit sans cesse en l’écoutant, en découvrant tous les jours, vraiment tous les jours, de nouvelles œuvres, des thèmes inconnus, des musiciens que je n’avais jamais entendu. Je fais des découvertes tardives qui sont souvent de belles surprises… Mais il en va de même avec d’autres courants musicaux. La musique des films, la musique brésilienne, certains compositeurs dits « classiques »… Ce que je dis est très banal, il n’est pas exceptionnel de ne pas creuser qu’un seul sillon. Aujourd’hui, plusieurs projets sont sur l’établi mais celui qui me tient le plus à cœur et de continuer à avancer avec mon quartet Drive-In sur les arrangements de musiques de films orientés vers le Jazz. Après avoir monté ce quartet il y a quelques années avec bonheur auprès d’autres musiciens que vous connaissez, il existe aujourd’hui grâce à Nolwenn Leizour, Marie-Hélène Gastinel et Yann Pénichou. Je tiens à continuer de développer ce projet, le nourrir de belles rencontres très récentes et de nouvelles idées. Au delà de ces passerelles Jazz et musique de film, j’ai toujours beaucoup de plaisir à retrouver des musiciens et des styles différents au sein de formations diverses. Cela va du Georges V sur Brassens avec Daniel Huck à Christian Morin en passant par des retrouvailles régulières avec bien d’autres musiciens.
Comment occupes-tu tes journées en ce moment ?
Je sors, je vois mes amis, je vais boire un café en terrasse s’il y a du soleil, je vais au cinéma, je descends voir mes amis du Pays-Basque… Ces pensées occupent bien mon esprit pendant que nous en sommes encore empêchés. Chaque journée a une couleur différente comme pour bon nombre d’entre nous. Je suis avec mes enfants Tom et Lili une semaine sur deux. Nous remplissons ensemble ces dimanches successifs de films, de cuisine, de musique, de petites vidéos maison…
Même en ce moment il n’y a pas de routine. Parfois je vais rester longtemps à jouer du piano, parfois beaucoup moins voire pas du tout… Il en va de même pour la lecture, pour le sport à la maison, les films ou les séries… Tout ce temps ouvert laisse parfois trop la porte ouverte à : « Je le ferai demain ». Mais je pense qu’il ne faut surtout pas s’en blâmer en ce moment, la souplesse dans le cadre est nécessaire. Le tout est que les choses avancent, même dans le désordre en ce moment. En profites-tu pour composer, travailler ton instrument ? Ni plus ni moins que d’habitude. Mais je fais un travail inédit pour moi. Je relève (à l’oreille étant donné que je ne sais ni lire ni écrire la musique) des chorus de mes pianistes favoris grâce à une appli qui permet de ralentir l’écoute sans perdre la tonalité. Je sais, j’ai 10 ans de retard et je découvre la roue. Je ne m’étais pas penché sur la question car j’y voyais trop l’aspect imitatif au moment où l’on prend conscience qu’il faut savoir éloigner les influences trop récurrentes… Mais ce travail débouche en fait sur bien autre chose que de la copie à la note. Il ouvre des possibles, donne des idées… Jamais trop tard pour découvrir.
Comment arrives-tu à jouer les autres ?
J’ai participé à quelques projets-vidéos-confinement mais très peu. Un blues à 100 doigts proposé par Arnaud Labastie en compagnie de 9 autres pianistes par exemple… Une amie danseuse vient de me proposer de poser des notes sur une chorégraphie solitaire qu’elle vient de filmer… Mais jouer AVEC les autres me manque vraiment beaucoup, comme à tous les musiciens qui liront ces mots. Car au-delà de la musique, en faisant ces vidéos, je ne retrouve pas bien entendu tout ce qui fait la chaleur et le plaisir de se retrouver, des heures avant et après les notes que nous jouons ensemble. C’est un peu comme les apéros-Skype, on fait semblant de gommer la distance et l’éloignement pendant un instant et même si le résultat est joli et souriant, rien ne vaut une bonne embrassade ou des regards complices.
Écoutes-tu la radio ? Des disques ? Du streaming ?
J’écoute beaucoup la radio depuis toujours. je m’y réchauffe comme auprès d’un poêle à bois. France Musique, Inter, FIP… Tous les podcasts accessibles. Les radios thématiques de France Musique sur le net… Le choix est vaste. J’écoute beaucoup de disques aussi et pour ne pas tourner en boucle sur les favoris, je demande parfois à mon fils ou ma fille de mettre un disque au hasard. Je vis très peu dans le silence.
Cette situation change t-elle ta façon de voir les choses, la vie, ton métier ?
Difficile ici de répondre point par point, de séparer l’intime et le professionnel. Le métier de musicien n’a pas attendu le 17 mars pour changer. Quand j’ai décidé de ne vivre QUE de la musique il y 25 ans, je jouais avec des musiciens plus âgés que moi qui me disaient sans cesse « Tu aurais connu notre époque, c’était autre chose, on jouait tout le temps, plusieurs fois par jour etc… » Et j’entendais des musiciens encore plus âgés qui évoquaient une époque bien plus reculée qu’ils bénissaient. Ce qui se passe actuellement ne fait que renfoncer la difficulté de vivre de notre passion et cela vaut pour toutes les professions artistiques. Nous ne connaissons toujours pas bien les dispositions qui seront mises en place à la sortie pour nous… Il est très préoccupant de savoir qui pourra continuer l’aventure. Comment ne pas tomber dans des mots qui vont dire l’inquiétude… Est-il utile d’en rajouter ? Certes cette période va bousculer beaucoup de choses mais il faudrait répondre à cette question qui sera devenue « Cette période a-t-elle bousculé beaucoup de choses dans votre vie ? » d’ici quelques mois et pour être concret. Et savons déjà les difficultés qui nous attendent, elles sont déjà là.
Un titre qui te passerait par la tête ?
C’est vrai qu’il vaut mieux terminer sur un beau morceau de musique qui me passe par la tête Comment décider… il y a des dizaines de morceaux qui traversent mon esprit tous les jours… la nuit aussi d’ailleurs. Pour m’aider à n’en choisir qu’un seul, je vais mettre dans un chapeau des styles que j’aime, des interprètes que j’aime, des arrangeurs que j’aime, des compositeurs que j’aime, des époques que j’aime… je mixe tout ça… et une fois mélangé ce patchwork, il en sort : Années 60, Lalo Schifrin, Howard Roberts, Ray Brown, Bud Shank, Steve Mc Queen… Le fabuleux thème du film Bullit !
Bonus : les deux articles au sujet de la dernière création de Jean-Marc Montaut à l’Auditorium de Bordeaux :
