Confiné avec… Ellinoa

Nous vivons tous une période particulièrement difficile qui bouscule notre mode de vie d’une façon totalement imprévue. Les musiciens, comme tant d’autres métiers, n’échappent pas à la règle et sont particulièrement touchés économiquement. Comme ils ne peuvent plus exercer leur art autrement que par quelques interventions sur les réseaux sociaux, nous avons pensé qu’il serait intéressant de continuer à tisser du lien avec eux par ce petit questionnaire.

Nous sommes avec : Ellinoa

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Photo Marc Ribes

Présentes-toi rapidement. De quoi, avec qui, quelle musique joues-tu ?

Je suis Ellinoa, chanteuse, compositrice… je suis la spécialiste des grands écarts artistiques : du duo au grand ensemble, du swing traditionnel au jazz contemporain en passant par la pop indé… j’aurais dû justement présenter mon nouveau projet, THE BALLAD OF OPHELIA, à Bordeaux en avril, pour le festival Déluge… j’espère qu’on pourra le reporter !

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Photo FFH Photographie

Comment occupes-tu tes journées en ce moment ?

Je suis assez réactive sur les dispositions de soutien au secteur du spectacle vivant, notamment via la fédération Grands Formats dont je fais partie. Je tente de sauver l’association avec laquelle je travaille et qui produit mes projets, et de trouver des solutions pour ne pas laisser tomber tous les musiciens qui devaient jouer avec moi dans les prochains mois. Je ne sais pas si vous avez suivi ça, mais les mesures prises en faveur des intermittents, à l’heure actuelle, sont cruellement insuffisantes et ne permettront pas d’aider grand monde. J’essaye aussi de réorganiser tous les projets que ce fichu virus vient bousculer, notamment ma sortie de disque, repoussée à l’automne (on a quand même maintenu la sortie en ligne pour les impatients, mais toute la « comm » a été décalée, ce qui est assez bizarre), ou de poser des dossiers pour la suite. Bien sûr, je me repose, aussi : séries, bouquins, films, apéros-skype ou jeux en réseaux, un peu trop de réseaux sociaux, pas assez de sport… J’ai la chance d’avoir une grande terrasse (le grand luxe pour une parisienne !) donc je jardine un peu et prends le soleil. Le rapport au temps est très étrange ces temps-ci, avec toutes les deadline qui d’un coup disparaissent… pour quelqu’un qui travaille bien dans l’urgence c’est un piège… Cette injonction latente à la productivité ne nous permet de rien faire sereinement. Il faut avoir une santé mentale sacrément solide pour faire face à tout ça, même en faisant partie des « privilégiés ».

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Photo Patrick Martineau

En profites tu-pour composer, travailler ton instrument, ta voix ?

Plutôt composer. Même s’il faut avouer que ça n’est, paradoxalement, pas une période très propice à la créativité. Sans doute ceux qui ont réussi à s’échapper dans de grandes maisons isolées y trouvent leur compte, mais à Paris, dans son lieu de vie habituel, difficile de nourrir l’inspiration. Le rythme de croisière est particulièrement dur à trouver. Et encore, je n’ai pas d’enfants !

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Photo Valentin Uta

Comment arrives-tu à jouer « avec » les autres ?

J’ai eu quelques propositions de collaborations « à distance », qu’on restituera sous forme de petites vidéos qui vont sortir prochainement. Et il y avait cette création prévue avec des collégiens bretons, qui ne pourra plus se faire avant novembre : je leur ai donc proposé d’enregistrer un morceau ensemble, comme une chorale virtuelle… il a fallu leur donner toutes les instructions en vidéo, faire des playbacks… Puis, chacun enregistre sa partie chez lui, se filme… C’est drôle car ça me ramène à mes débuts en tant que « youtubeuse multitrack » il y a quelques années, où je montais ou participais à des projets avec des chanteurs du monde entier !

Écoutes-tu la radio, des disques, du streaming ? Quoi par exemple ?

J’écoute ce que font les copains en confinement ! Et aussi quelques disques, vinyles, ou découvertes en streaming (c’est souvent mon copain qui gère la playlist à la maison). Occasionnellement quelques radios que j’aime bien, comme le Grigri…

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Photo Lauren Pasche

Cette situation change t-elle ta façon de voir les choses, la vie, ton métier ?

J’avais déjà entamé une réflexion sur la bizarrerie de l’époque qu’on traverse, les profonds changements qui s’opèrent et la douloureuse adaptation par laquelle on devra tous passer. Je pense qu’on le ressent tous, mais que cette brutale épidémie vient mettre en lumière encore plus crûment certaines choses : les inégalités vertigineuses, l’intolérable cynisme de notre système, ou encore la respiration paradoxale que tout cela apporte à notre planète. Concernant mon métier, je me rends d’autant plus compte à quel point nous sommes privilégiés, mais à quel point aussi ce privilège est précaire. Difficile d’imaginer ce que sera le monde de demain, et ce qui fait le plus peur : que tout change ? Que rien ne change ?

Un titre qui te passerait par la tête ? 

En cas de coup dur, j’en reviens toujours à mes racines : le Pat Metheny Group, qui était non-stop dans mes oreilles de 0 à 17 ans. J’ai réécouté l’album « The Way Up » récemment, une merveille. Une douce pensée pour Lyle Mays qui nous sourit depuis quelque part.

 

 

Carte AJ