Par Anne Maurellet, photos Dominique Poublan (alias Dom Imonk)

Capucine au Quartier Libre – 14/12/2018

« Snobiss ». Prendre chaque note comme une goutte de sensualité à faire briller. Solaire. Capucine, c’est un lustre aux pampilles de verre biseauté qui se balancent pour attraper la lumière. Le vibraphone cristallin entrechoque les petits éclats. Évidemment, on flotte dans les airs ! Ce qu’il y a d’extraordinaire, c’est le son de la guitare. Quelques notes suffisent à enchanter les cordes les plus sensibles de nos cerveaux, dégageant des ondes voluptueuses, extrêmes dans la finesse de leur propagation et le visage de Thomas Gaucher en est le prolongement. Le lustre chaloupe, un peu al di méolien.

Thomas Gaucher

On passe à « Table basse » ! Le quatuor nous raconte une colère face à l’ami maladroit casseur qui démarre pourtant en douceur. Il vaudrait mieux rester calme. On assiste à des remontrances en plusieurs étapes. Quelques égarements tout de même, c’est l’occasion d’accélérer le tempo ; le rythme s’affirme. Place au vibraphone qui rétorque. Il est finalement moyen de s’entendre, ça n’est pas un objet qui va nous séparer, c’est bien ensemble qu’on veut jouer !

Félix Robin

Les esprits repris, il est temps pour « La traditionnelle promenade du dimanche », portrait dédicace à Dom Imonk. La sincère admiration pour Capucine a tourné en affection mutuelle. On entend le lien qui les unit. Un coup de baguette sur le vibraphone. Dom avance dans les bois, méditatif, parfois contemplatif : le morceau lancine, ondule sur les chemins girondins. On l’imagine bien lever la tête, ému par un animal sauvage qui a traversé là-bas. Hommage à un passionné. Le quatuor part avec lui dans cette balade, ballade. Le torse rempli de musique, il respire la profondeur des sons ; on sent la terre, l’humus participer. La rêverie se termine, les habitations réapparaissent, mais il reste une musique dans la nuit qui ne se dissipe pas. Pensive, sûrement…

Ils nous entraînent maintenant dans la « Casa Pino », petit troquet « qui » disent où on mangeait pour pas cher. Des habitués, nostalgiques de sa fermeture. Réanimer. Faire vivre une fois encore, plus longtemps. Fantômes de chair, la musique a posé le cadre. Que va-t-elle nous raconter ? Le vibraphone choisit le babil d’une jeune femme ; les hommes la regardent un peu. Un gars s’est-il enhardi ? Sont-ce des types du quartier au comptoir qui attendent le repas généreux ? La vie est là, sous les doigts des musiciens : instantanés, concentrés d’existence. Changement de tempo, y a d’la joie ! Je swingue, tu swingues, ils swinguent : traduire les bavardages, les rencontres, les brèves. Refaire le monde avec plein de mots, se sentir forts, exister, heureux un temps, un tempo, des désespoirs discrètement partagés, exposés, soulagés donc. Il faut couper ; un peu de frénésie en fin de morceau : on voudrait rester là, dans ce restau, encore, encore, accélérer le souvenir, le maintenir aussi. Rester dans cette vie-là. Nostalgie ? Non. Évocation. Immortaliser.

Puis un hommage fugace à un ami disparu, « Bec mouillé », tellement pudique qu’il nous a laissés sans mots…

Avec « Anatole, les opticiens », la contrebasse de Louis Laville et la batterie de Thomas Galvan s’allient. Elles marquent le tempo avant que les quatre amis ne se retrouvent ; et la guitare nous emmène là-bas, juste dans le plaisir de la folie ! Thomas Gaucher envoie, décolle. La musique, Thomas, il l’a plus qu’au bout des doigts, à la pointe des cheveux ; irradié ! Si l’on y prend garde, on voit les ondes l’envahir parce qu’il cherche sans cesse une composition aiguë, sensible, et il rappelle les trois autres pour finir par « quelques notes de musique »…

Louis Laville

2e set
Le vibraphone de Félix Robin est le maître du jeu : découper, décomposer, une japonaiserie s’en dégage. La geisha, « Finette », certes un peu allumée, déambule. Petits pas, nombreux, irréguliers. Je vous fiche mon bonnet qu’elle tapote ses okobo, sandales aux lanières colorées et soulève un peu son lourd kimono.

« Je n’écris pas un morceau pour toi » est tout de même la chronique pour un batteur : Thomas Galvan. Décomposer le son, comme une schizophrénie obligée. Marquer ce découpage en quatre instruments : on regarde les pieds sur la pédale, les mains dissociées et chacun du quatuor prend le risque d’une fraction pour réunir cette superbe et apparente disharmonie qui peut construire le jazz.

Thomas Galvan

« Praldo & Fricadin » est l’histoire d’un chien plus intelligent que l’autre, nous dit-on. Si la musique est une chienne, eh bien, je vous assure qu’elle est en chaleur ! et ça monte, coït ou pas, puis ça s’apaise, on en reprendrait bien ! Et d’ailleurs, on entend un petit spasme de derrière les fagots, s’il l’on prête l’oreille…

Avec « Poliçons », la suite semble bien confirmer l’impression. Le tempo est doux, cependant, on s’attend à quelques danses coquines égrenées par la guitare que taquine Thomas pour en sortir quelque saveur.

Dans le « Chemin des barres », on entre dans l’intimité d’une maison familiale : bienveillance et tendresse ont ouvert la porte. Les fenêtres sont forcément grandes ouvertes parce qu’il y a toujours de la lumière dans la musique de Capucine, et une brise. Le vibraphone crépite comme un feu accueillant. C’est un lieu plein d’échanges, de passions maîtrisées mais présentes, sentiments pas si souvent dévoilés susurrés par la guitare, mais intenses. Affection. S’y engager, les extraire grâce au jazz qui reste un poumon puissant, révélateur d’émotions inavouées, enfouies. Et prendre plaisir un instant à les livrer, pudiquement.

Pour avoir un second souffle, il faut « Signer un nouveau contrat ». Vibraphone et guitare sonneraient l’heure. L’heure de quoi ? Hésiter, balbutier, rendre l ‘âme ? Non ! On signe. Repartir, sortir de sa gangue, vivre encore : vibrations, euphorie, pourquoi ? Sursaut avant la mort ? On s’en fout. On vit. On vibre. Le quatuor explose. Si c’est une dernière danse, c’est la fantaisie de chacun, la frénésie de chaque instrument, et ils s’accordent dans la partition finale. Mourir ensuite, peut-être pas !

Capucine

« Étrilles » : s’éclater la tête sur la portière de la voiture de grand-père… Vous voyez, l’art, c’est ça. La musique, en tous cas, c’est sûr ! Elle attrape ça : la perception fine des petits événements quotidiens pour Capucine. La tête est peut-être cabossée, c’est pourquoi la musique est cadencée. La céphalée qui suit rend le son sourd, aseptisé. On verrait bien le vibraphone réveiller la douleur, la sublimer ensuite, la guitare cherchant à se plaindre encore, en profiter un peu… Douleur délicieuse, on en ferait un morceau !…

Superbe soirée ! De la création ! De la lumière ! Flamboyant.

Anne Maurellet

Par Anne Maurellet, photos Dominique Poublan (alias Dom Imonk)

Capucine

Quartier Libre Bordeaux

Capucine, le disque.