Brussels Jazz Orchestra & Camille Bertault « Gainsbourg»
BJP Records
Par Patrick-Astrid Defossez
L’homme aux oreille de choux a trouvé sa dame pour les oreilles de doux
Voilà vraiment un excellent album ! Un album qui oppose et appose les masses afin de composer de belles contremasses entre d’un côté, cette grande formation de jazz réputée, la masse, et de l’autre, la voix, réputée, la plume-libellule !! Nous parlons ici certes de manière binaire mais il nous est donné à entendre, à notre avis, un projet à double face, un Janus en somme, et nous nous sommes quelque peu perdu comme sur le Ring bruxellois tout autant que sur celui de boxe… nous nous expliquons.
Les arrangements sont excellents, beaux, riches, denses, nous rappelant ceux des Thad Jones Mel Lewis, Maynard Fergusson, Quincy Jones.
Certes, nous aurions aimé que ces arrangements soient propices à des expérimentations plus audacieuses grâce à cette communion et sujet originaux bigband-voix. Mais gageons-nous de toute critique hâtive, ces arrangements répondent parfaitement à l’écriture stylistique (voire archétypale) des grandes formations de jazz.
Les musiciens sont tous excellents et chaque morceau permet à ceux-ci d’avoir une plage d’improvisation différenciée, c’est très agréable, démocratique, un homme-une voix, nous aimons cette idée pluraliste.
L’album est également très bien architecturé et celui-ci nous tient en haleine jusqu’à la fin.
Et d’ajouter que cette grande formation, malgré son poids, sa masse, reste dans le rendu musical et sonore très léger : un Poids-léger en somme sur le Ring du Jazz.
Lorsque nous évoquons les masses mises en jeux, nous notons une franche disproportion : la formation joue tout le temps et la voix en définitive ne représente que quelques parts congrues dans la temporalité globale de l’album. Certes, nous direz-vous, mais cela confère à la voix un rôle trop « enfermé » dans le format chanson.
Tout à coups, nombre d’interrogations nous assaillent :
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pourquoi un tel projet ?
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quel est le parti-pris vocal de Camille Bertault ?
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grande formation et voix ont-ils été enregistré ensemble, au même moment ou a posteriori ?
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pourquoi un tel projet ? … sans doute le désir d’une belle rencontre nord-sud, transfrontalière et multiculturelle où les barrières de langues sont abolies, dans un pays privilégiant le trilinguisme et où la culture de la grande formation de jazz (il n’y en a plus que très peu en France) est encore vivace…
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quel est le parti-pris vocal de Camille Bertault pour ce projet ? … plusieurs interrogations : Camille jouant ou rejouant l’expression vocale susurrée, faussement fragile, sotto voce, de Jane Birkin, … une expression vocale du « à peine » ne voulant absolument pas dire « avec peine » bien entendu, la voix est très belle, flottante comme un Poids-plume sur le Ring du Jazz…
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grande formation et voix ont-ils été enregistré ensemble ou séparément, a posteriori ??? … de deux choses l’une : soit Camille a enregistré dans un grand studio avec la formation dans une grande salle et elle en cabine // soit sa voix fut posée a posteriori sur l’enregistrement de la grande formation, ce qui pourrait expliquer le fait que la voix « ne donne pas » (un parti-pris donc) ! Bigre, si Camille avait été au côté de la formation, elle n’aurait sans doute pas résisté à répondre aux dynamismes, aux élans de celle-ci, c’eut « donné » comme on se donne en scène … et là, c’est tellement susurré que quelques passages sont textuellement inintelligibles. Si Camille avait été au contact direct de la formation, les lignes orchestrales doublées à la voix eurent-elles été rendues plus vivantes … la grande formation tricote inlassablement et la voix survole avec parci et monie… . Le parti-pris de la petite voix faussement colorature digne d’une Peggy Lee n’est bien entendu pas sans humour, il nous semble avoir compris le second degré ou plus …
Mais Camille où est l’improvisation bon sang de bois ? … le projet vous a-t-il interdit ce que vous défendez habituellement avec conviction ?
Du point de vue enregistrement, là aussi la grande formation fait masse n’offrant que peu de latéralisation/spatialisation binaurale. La formation est souvent trop à l’arrière afin de laisser place à la voix. Quel a été le parti-pris de l’ingénieur du son et du directeur artistique ? Certes les différents pupitres instrumentaux sont clairement identifiés et identifiables mais restitués en deux dimensions et non en trois. Néanmoins, la clarté des pupitres nous donne un plaisir comparable au quatuor à cordes pour l’intelligibilité des voix et en cela, les subtilités d’écritures jouent un rôle d’importance.
Un très bel album donc qui ravivera le plaisir de découvrir de grandes formations de jazz, et qui trouvera un accueil enjoué parmi le grand public amateur ou non de Gainsbourg.
Bravo … erg blij u te horen !!