AWAZ ou le Requiem Kurde
Photos Alain Pelletier, texte Philippe Marzat
La grande salle rouge du Rocher de Palmer raisonne tant elle est vide. Pas un seul siège d’occupé et pour longtemps. Pourtant, ici au Rocher de Palmer Patrick Duval et ses équipes travaillent pour nous offrir des concerts non pas virtuels mais à distance et en direct sur le site et la page facebook du Rocher de Palmer.
Aujourd’hui c’est AWAZ qui occupe la scène. Ils sont trois. Ils sont ici pour la « Journée Mondiale pour les Réfugiés » avec l’association Jamira et son projet « Musiciens en exil ».
AWAZ est un groupe né à Bordeaux. Il est composé de trois musiciens Kurdes, Syrien et Iranien. Aux percussions kurdes, le Daf, Ebrahim Ahmadi. Au Saz et à la voix profonde Aras Agir, et pour enrober le tout la chanteuse Bayan Mohammadi.
Ils sont réfugiés politique Kurdes, interdits de retour dans leur pays, le Kurdistan, partagé par la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran.
Après une trop longue errance de douleur à l’âme, les traînant de pays en pays, ils se sont retrouvés à Bordeaux où ils ont formé le groupe Awaz. Dans leur répertoire, ils reprennent des chants et musiques plus ou moins traditionnels. Des complaintes qui ne chantent et ne jouent que l’amour disparu et la difficulté d’être loin de son amour, séparé de sa famille et de ses amis, de son pays, de tout ce qui fait la vie que l’on devrait mener par dans un vrai monde. Ces longues mélopées lancinantes nous disent la montagne Kurde, nous racontent la vie dans les villages de là-bas. On y est. On devine dans la chaleur d’un été sous le soleil, l’agitation près des maisons et des commerces. Vous les voyez rasant les murs pour un peu de fraîcheur. Les sentez-vous toutes ces odeurs d’épices multicolores qui s’évaporent, dans le flou thermique au zénith, et qui montent du sol brûlant. Quand vient le soir, je les imagine, dans des maisons fraîches. Ils chantent et dansent dans des voiles arc-en-ciel. Le thé coule dans les verres comme une cascade, éclaboussant au passage le plateau de cuivre ouvragé. Ce thé chaud, amer et sucré à la fois, et toujours les chants qui racontent la vie de gens ordinaires qui ne demande rien d’autre que de vivre libres.
Si je vous dis que de les voir, là, devant nous, à les écouter jouer, à les entendre chanter, il n’est nul besoin de parler Kurde. La musique est là, présente. Elle nous entraîne. La voix nous raconte la douleur de la disparition mais l’espoir qui transparaît au détour d’un mot deviné. Mélancolie de la tristesse du départ où l’on abandonne tout. Il ne reste que vous face à rien et l’on avance. On avance encore. La brûlure de l’âme. Oui j’ai entendu cela dans leurs chants. Mais aussi et surtout, en se laissant aller sans retenue, j’ai vu comme une transfiguration dans les doigts agiles d’Ebrahim Ahmadi venir frapper le Daf et s’envoler aussitôt. Ces mains semblaient des colombes blanches qui s’envolaient et revenaient là nous dire que, oui, un jour, tout sera possible. Alors peut-être que si les hommes le veulent bien, on rentrera au pays. Elles nous disent cela les « colombes » digitales d’Ebrahim Ahmadi. En attendant elles volent puis reviennent se poser sur les cordes du Saz d’Aras Agir tandis que Bayan Mohammadi leur chante la blessure de la Syrie, le requiem d’Iran ou la meurtrissure d’Irak.
Allez les voir et les écouter et vous vous rendrez compte qu’elles sont bien là ces « colombes ». Elles vous parleront d’Afrin en Syrie, elles vous en diront plus sur Kermânchâh en Iran et elles vous annonceront les rêves que font chez eux là-bas en silence les enfants kurdes, au fond de leurs nuits. Alors oui, avec AWAZ, j’ai avancé et j’en suis ressorti bien mieux. Et de cela, ils ont autant besoin que moi.
Photos Alain Pelletier, texte Philippe Marzat