Par Philippe Desmond, photos Christine Sardaine et PhD
Le Rocher de Palmer, jeudi 10 mars 2022
Antonio Lizana : chant, saxophones ; Daniel Garcia Diego : piano, claviers, chœurs ; Arin Keshishi : basse électrique, chœurs ; Shayan Fathi : batterie ; El Mawi : danse, chœurs
Dans l’offre gigantesque que le jazz propose, sortir du lot tient de la prouesse. Proposer quelque chose de nouveau tout en restant ancré dans ce style reste bien sûr encore possible et Antonio Lizana en est la preuve. Le paradoxe est que pour innover il va chercher dans le passé dans les racines de la musique espagnole, le blues de là-bas, le flamenco.
Saxophoniste et chanteur il va ainsi mêler ces cultures diverses dans ce qui est ici une vraie fusion, les deux styles musicaux se liant parfaitement pour former une nouvelle matière. Les amateurs des deux genres s’y retrouveront profitant même de ce cocktail pour ouvrir leur univers musical.
Quel dommage que nous soyons une nouvelle fois trop peu dans cette belle salle du Rocher ; le lendemain pour le même concert à la Coursive de la Rochelle, c’était complet, 1000 personnes déchaînées comme j’ai pu le voir sur une vidéo. Allez comprendre…
Dès le premier titre « La Semilla » (la graine) nous voilà plongés dans un climat chaleureux, le lyrisme du sax alto d’Antonio s’appuie sur une rythmique brillante, le piano pose des nappes électros quand surgit la voix de tête haut perchée du leader avec ce grain inimitable des Andalous et un autre monde apparaît. Le danseur El Mawi sort alors de l’ombre pour faire briller ses paillettes, une élégance racée et fière, des séries de taconeos (claquements de talon) pour relever le rythme. Que duende ! Danseur mais pas que, il chante en harmonie avec Antonio le soutient dans ses quejios (plaintes). Les bulerias se fondent naturellement en post-bop musclé, avec des parfums orangés d’Andalousie aux influences orientales avant que la Reconquista – évoquée dans le titre « Mora » – ne vienne remettre de l’ordre dans le royaume. Comme quoi les annexions de territoires et les conflits religieux que nous connaissons ne datent pas d’aujourd’hui…
Beauté pure avec les chants attaqués a palo seco (a cappella) s’ouvrant vers une folle énergie portée par le groupe, voilà du jaleo, les musiciens s’encourageant ou se défiant de la parole, voilà des palmas, toujours aussi difficiles à imiter pour les néophytes. El Mawi nous régale de ses arabesques chorégraphiques nerveuses, plein les yeux, plein les oreilles !
Le jazz ne nous a jamais quitté du concert, les improvisations à l’alto ou au soprano d’Antonio révèlent un musicien hors pair et sa musique traduit bien ses allers-retours entre New York et son pays d’origine. Quelle réussite que ce mélange culturel avec ce cuadro magnifique, pianiste, bassiste et batteur, eux-aussi polyvalents et totalement engagés.
Antonio, personnage d’une grande gentillesse comme le confirmera la séance de dédicaces, nous a même dédié à chacun le rappel comme « un abrazo individual »
N’hésitez pas à aller écouter le dernier album « Una realidad diferente » vous aurez vite compris de quoi je parle. Et peut-être est-il encore temps pour vous d’aller voir le groupe en concert il reste pas mal de dates même dans la région. Et quelque chose me dit qu’on le reverra sous les lampions un jour d’été à Bordeaux…
PS : la veille du concert Antonio Lizana avait fait une arrivée surprise à la jam du Quartier Libre où il a bagarré sévère avec son collègue saxophoniste « Doc » Thomachot et s’intégrant parfaitement à la scène jazz bordelaise : Louis « Vendéen » Laville (cb), Gaêtan Diaz (batt), Paolo Chatet (tp), Robin Magord (kb), Jean Marc Pernat (percus)…
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