par Philippe Desmond, photos Thierry Dubuc.

OARA-Molière Scène d’Aquitaine, Bordeaux le 22 mars 2018.

Le public sans le savoir en profite souvent mais il ne connaît guère l’OARA, l’Office Artistique de la Région Nouvelle Aquitaine, qui existait en Aquitaine avant le nouveau découpage administratif d’où l’absence du « N ». Ses missions, accompagner, structurer, développer les offres artistiques dans la Région.

Et c’est dans cet esprit, que toute la semaine passée, l’OARA accueillait en résidence le nouveau projet d’Anne Paceo « Bright Shadows » produit par le label Laborie Jazz bien implanté dans le jazz désormais et installé à Limoges, la région donc. Ce label dynamique, privilégiant la qualité et uniquement tourné vers des musiciens compositeurs est porté par Jean-Michel Leygonie et son fils Elie. Déjà une cinquantaine d’albums produits depuis 2006.

C’est Joël Brouch le directeur de l’OARA qui nous présente la soirée soulignant la chance que nous avons de voir en avant-première ce spectacle qui sera « officiellement » lancé à la Philarmonie de Paris le 15 juin prochain. Au passage, merci à lui d’avoir évoqué le travail d’Action Jazz pour la promotion du jazz en Nouvelle Aquitaine.

Jean-Michel Leygonie présente ensuite rapidement les musiciens qui travaillent depuis lundi au théâtre Molière qui accueille l’OARA avant que celui-ci ne déménage bientôt à la MECA (Maison de l’Economie Créative et de la Culture) quai de Paludate. On a hâte de découvrir ce lieu à l’aspect extérieur déjà spectaculaire.

Une création c’est toujours un moment particulier, pour le public qui la découvre mais certainement davantage pour les artistes qui pour la première fois vont tester leur œuvre, sentir les réactions de l’auditoire, mesurer éventuellement le travail qui reste à faire. Car c’est du travail, beaucoup de travail, Annie Robert vous en a parlé dans l’article précédent, le spectacle n’est que la partie émergée de l’iceberg. C’est aussi et bien heureusement de la passion.

« Bright Shadows », les ombres lumineuses, oxymore qui va se révéler d’une parfaite justesse. Anne Paceo est une créatrice pure, toujours à chercher, à expérimenter. Les frontières musicales elle s’en moque et les franchit allègrement au sens premier du terme, avec une joie que son visage ne peut masquer.

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Six musiciens, elle à la batterie (je vais essayer de ne pas prononcer le mot batteuse qui ne me plaît guère, je lui préfère celui de battante), Tony Paeleman aux claviers et machines, Christophe Panzani aux saxophones ténor et soprano, Pierre Perchaud à la guitare électrique, jusque là du « classique » mais aussi Ann Shirley et Florent Matéo au chant, ce qui l’est moins.

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C’est cette présence vocale qui marque le projet, des unissons magnifiques avec le sax de Christophe, des chœurs célestes avec tout le groupe, des entames de morceaux pleines de délicatesse chantée suivies de montées frénétiques sur une forte rythmique pour retomber dans la douceur. Cette rythmique faite du son si caractéristique du Rhodes, des hyper basses électros de Tony et d’un drumming d’Anne totalement atypique, parfois pop,  avec une caisse claire détendue au maximum et un énorme son de grosse caisse qui m’a subjugué tout le concert ; et je n’ai pas été le seul comme de nombreux musiciens dont des batteurs me l’ont confié après.

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Délicatesse donc dans les compositions, oserai je dire féminité sans me faire taxer de misogynie ? Une musique d’une sérénité communicative malgré certains thèmes lourds abordés, la double détresse des migrants, à leur départ de chez eux par nécessité absolue, à leur arrivée chez nous, indésirables souvent, ou encore le titre en hommage à Nehanda et sa lutte contre les colons du Zimbabwe (quel beat sur ce titre !). Des moments hors du temps, hors du jazz ou en plein dedans, comme ce trio vocal des deux chanteurs et d’Anne accompagnés par des piaillements d’oiseaux, plein de grâce et de légèreté.

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Une création absolue que ce spectacle loin des codes et tellement musicale. Présence forte et discrétion à la fois des musiciens, Pierre Perchaud s’envolant tout à coup, Christophe Panzani sublimant ses sax, Tony nous rafraîchissant de ses gouttelettes de Rhodes. Quelle complicité des deux chanteurs, Florent avec une aisance et un naturel étonnants, Shirley avec finesse et grâce.

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Savez vous que cette dernière est allée en demi finale de the Voice cette dernière saison ? Cela pourrait faire fuir certains, ce serait injuste, et si c’était plutôt le contraire ? Qu’elle fasse venir vers cette musique de qualité ceux que les médias de base en tiennent écartés… Elle ne regrette pas cette expérience musicalement peu intéressante mais humainement importante. Elle sait de plus maintenant ce qu’elle veut faire, elle nous en a montré ses capacités ce soir.

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Coup de chapeau à Anne Paceo, à sa fraîcheur dans son contact avec nous, sa simplicité et son énorme talent. Merci pour ce fou rire sur scène à la fin du rappel, une boucle impromptue ayant fait des siennes, nous rappelant que ces beaux artistes sont fragiles et humains. Elle mène sa carrière, au sens artistique du terme, avec curiosité, créativité et élégance.

Ce concert d’hier , leur premier en public et déjà d’un aboutissement surprenant (bravo à Boris Darley au son et Fabien Maurin aux lumières pour leurs prouesses) c’est un cadeau qui nous a été fait. Dire que nous devrons attendre janvier 2019 pour écouter cela sur nos platines !

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L’OARA et Laborie Jazz ne se sont pas fourvoyés dans cette affaire, nous pouvons le confirmer.

https://www.annepaceo.com/

http://oara.fr/

https://www.laboriejazz.fr/

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La MECA