Anglet Jazz Festival 2023 – Jours 3 et 4

par Philippe Desmond, photos Philippe Marzat

Déjà la moitié du festival de passée et il reste tant de belles choses à venir !

Samedi 16 septembre au Théâtre Quintaou :

Paul Lay & Sylvain Luc

On nous annonce une première mondiale, le duo Sylvain Luc et Paul Lay. Ils se connaissent depuis longtemps, se sont souvent croisés mais jamais n’ont joué ensemble, du moins sur scène. C’est donc avec impatience que le public venu très nombreux ce soir attend cet événement. Il nous faudra patienter, le concert commençant par l’un puis l’autre en solo. Au béarnais Paul Lay (prononcer comme chandail ou portail, on est dans le Sud Ouest ! ) de débuter, au piano donc, par une composition en hommage à Beethoven et d’autres extraits de son album « Full Solo ». Paul fait partie de ces pianistes de jazz qui s’affranchissent des frontières entre les musiques et leur apportent leur style personnel, ici fait souvent d’accords audacieux. Au basque Sylvain Luc, bayonnais plus précisément qui joue donc quasi à domicile avec le public dans la poche et l’arbitre aussi certainement. « Poinciana » en hommage à Ahmad Jamal récemment disparu, « Josy » de Steely Dan extrait de son album « Simple Song », un thème basque (un répertoire mélodique tellement vaste nous dit-il) et un délicat « Sailaway » pris chez Earth Wind & Fire en hommage à son ami disparu bien trop tôt – et l’ami de beaucoup ici – le batteur Nicolas Filiatreau.

Mais, enfin, place au duo ! « Nardis » superbe , puis « All Blues » magique (ou « Freddie Freeloader », j’ai un doute ! ), introduit habilement par un jeu de piste laissant planer le doute sur la suite. Pas facile d’accorder un piano et une guitare, tellement naturel pour eux. L’expression virtuose sobriété me vient très vite en tête. Pas d’esbroufe, un interplay permanent, une vraie complicité, toute neuve pourtant. Ils n’ont guère joué auparavant qu’à la balance à laquelle nous assistions. Tout s’y passait dans la bonne humeur, les rires et pourtant, quel résultat, sublime. Même « Besa me mucho » devient entre leur doigts une chanson inédite, de la musique à l’état pur. Un dernier titre de Wayne Shorter et ce bien trop court set s’achève, nous laissant sur notre faim. appétit. Un béarnais et un basque, on attendait quelque chose de plus consistant pour notre appétit musical. Mais ces quelques tapas musicales nous ont quand même régalés. Pour conclure, un rappel basque va faire chanter les locaux dans leur langue si hermétique pour nous les étrangers !

interview de Paul Lay et Sylvain Luc

Emile Parisien sextet

Marc Tambourindéguy, le directeur artistique du festival, nous a annoncé une programmation contrastée. On va en avoir une nouvelle preuve éclatante. On s’en doute déjà un peu – en fait on en est sûr – car après le subtil duo on sait que le sextet d’Emile Parisien risque de nous emmener tès loin. On va être servi !

C’est « Louise » qui ouvre le bal – en référence à l’artiste Louise Bourgeois – et de suite un Emile Parisien qui irradie de son sax soprano. Oublions sa gestuelle caractéristique, ses acrobaties, ses positions de tireur, concentrons nous sur son phrasé inouï, son débit, son flow dirais-je, musical toujours, à sa façon certes mais sincère. Avec lui une équipe de choc, Yoann Loustalot sacré trompettiste, Manu Codjia le fin guitariste, Roberto Negro et son style engagé, on va en reparler, Florent Nisse percutant à la contrebasse et l’excellent Gautier Garrigue aux baguettes. Ils enchaînent sur « Jojo » un clin d’œil à Joachim Kühn . Ce sextet joue avec une intensité remarquable, une musique nerveuse, tendue, prenante. Un spectacle visuel aussi. Emile annonce « Memento » en hommage à sa mère. Mais quelle est donc la nature des rapports entre le fils et sa maman ? Ce titre démarré tranquillement va nous propulser vers un ailleurs délirant où chaque soliste va se livrer totalement, voire plus ! Roberto Negro notamment qui part dans un chorus tellurique, s’en prenant au piano avec une violence musicale paroxysmique ; il a tellement donné qu’il s’enfuit en courant vers les coulisses. Le quintet continue à fond mais on sent pointer une certaine inquiétude dans les regards échangés. Après cinq minutes, Emile part aux nouvelles, le désormais quartet poursuivant dans un groove insensé dominé par la trompette de Yoann. Ouf les revoilà tous les deux. Que s’est-il passé ? Roberto est allé tellement loin qu’il s’est éclaté le front sur le rebord du piano ; il passera quelques heures à l’hôpital dans la nuit… Toujours spectaculaires les concerts d’Emile Parisien et cie, celui-là particulièrement. Il y a eu d’autres victimes, dans le public cette fois certains, effarés, quittant leur place, mais finalement pas tant que ça. Un concert qui a fait réagir, pour sûr ! Bravo messieurs pour cet engagement.

Mais la soirée n’est pas finie.

Samedi 16 septembre minuit, aux Ecuries de Baroja :

La jam de nuit

Un bœuf dans une écurie rien de bien exceptionnel. C’est la tradition ici où un groupe lance la jam, ce soir un trio avec Pascal Ségala à la batterie (il est aussi un très bon guitariste), Hervé Saint-Guirons au piano et Jean-Luc Fabre à la contrebasse. Dans ce joli endroit quelques dizaines de rescapés du concert explosif d’Emile Parisien convergent, parmi eux des musiciens locaux., Antoine Perrut et Ray Layzelle (sax), Pierre-Olivier « Pop » Pouzet (vibra)… Eddie Dhaini (guitare) , Louis Laville (contrebasse) et le trompettiste Loïc Guenneguez (à la batterie !) en résidence aux écuries toute la semaine se mêleront à la jam. Manu Codja, Yoann Loustalot, et Sylvain Luc seront aussi de la fête. Un très beau « Poinciana » avec ce dernier, terminera la jam à près de deux heures du matin ; on aurait bien continué davantage…

Dimanche 18 septembre au Théâtre Quintaou.

La veille, au vu des bulletins météo, les organisateurs ont pris, la mort dans l’âme, la décision de rapatrier les concerts du parc de Baroja au théatre Quintaou. L’ambiance bon enfant du « Jazz sur l’Herbe » va nous manquer même si les musiciens vont profiter des meilleures conditions techniques et acoustiques de la salle de concert.

Eddie Dhaini quartet

En janvier dernier, ce quartet obtenait le Prix Action Jazz au Tremplin que nous organisons et, dans le cadre de notre partenariat, Marc Tambourindéguy l’avait choisi pour effectuer une résidence au studio des Ecuries de Baroja pendant la semaine du festival, avec le concert comme dénouement. Bien lui en a pris, son choix a séduit le public qui est très vite rentré dans cet univers musical fluide et mélodieux. Eddie Dhaini (guitare), Loïc Guenneguez (trompette), Baptiste Castets (batterie) et Louis Laville remplaçant le contrebassiste titulaire Aurélien Gody. Des compositions originales inspirées et bien travaillées, une adaptation de Sibélius, un vrai succès couronné par un Loïc Guenneguez showman parcourant le public et l’entraînant dans le rythme de reggae de « Free from the Ghetto » ! Une vraie satisfaction pour nous aussi de voir des jeunes musiciens passés par le tremplin tracer leur chemin.

MT 4 – Marc Tambourindéguy quartet

Un jazz raffiné et enthousiaste que celui de MT4, avec Action Jazz nous les avions programmés au premier festival Jazz à Caudéran en 2017. Marc Tambourindéguy a donc repris sa casquette de pianiste (et vocaliste) pour nous présenter les titres du récent album « Vent du Sud » . Avec lui Antoine Perrut (sax), Laurent Chavoit (contrebasse), Pascal Ségala (batterie) et une invitée sur trois titres la violoncelliste Marie-Laurence Tauziède. Parfois la voix aérienne de Marc vient planer sur ce jazz poétique et élégant qui ne s’empêche pas des développements engagés et énergiques. L’idée d’associer un violoncelle qui avait germé dans l’esprit de Marc s’avère excellent, cet instrument aux mains de Marie-Laurence Tauziède, trouvant parfaitement sa place dans cette ambiance musicale. Encore un accueil enthousiaste du public pour ce groupe local qui ne demande qu’à élargir son territoire.

Roger Biwandu Bordeaux quintet

Roger Biwandu, grand batteur à la carrière aux collaborations prestigieuses, n’était pas revenu au festival depuis sa première édition, le voilà de retour avec son Bordeaux quintet pour nous jouer des extraits de son dernier album « Straight Outta Palmer ». A la contrebasse, « la Patronne » comme il l’appelle, Nolwenn Leizour, au piano « le Révérend » Hervé Saint-Guirons, à la trompette Michaël Chevalier et au saxophone Fred Borey le remplaçant de luxe de Jean-Christophe Jacques de mariage ; pas le sien !

Après une entrée en scène très classe, c’est parti du gros hard bop, tonique et efficace. Le drumming de Roger est bourré de reliefs, des reliefs de montagnse de hautes montagnse avec des sommets et des abîmes, pas de douces collines. ; ça groove, ponctué avec fermeté. Nolwenn est là, bien là, indispensable pour caler un tel répertoire. Dans « Footprints » dédié lui aussi à Nicolas Filiatreau – il nous manque – elle est magistrale avec sa sourde pulsation. Les deux soufflants s’entendent à merveille, dialoguent en unisson, se provoquent, se répondent, quant à Hervé enfin à un vrai piano (le matin aux balances il a dû en nettoyer le sang laissé par Roberto Negro ! ) il s’amuse bien à nous surprendre. Surprise, la découverte du talent de chanteuse de Nolwenn dans « Sunny », certes habituée des chœurs avec Eskelina mais pas au lead vocal. « Human Nature » en rappel express, ou TGV, avant que Fred Borey ne file immédiatement vers le sien pour rejoindre Paris.

Ce quintet est redoutable d’efficacité, éclairé par la personnalité pleine de fantaisie de Roger Biwandu, bourré d’humour dans ses interventions, toujours prêt à chambrer. Un final flamboyant pour une merveilleuse édition de ce festival.

Merci à toute l’équipe, bénévoles, pros, techniciens qui méritent la poursuite de ce festival toujours dans l’incertitude d’une année sur l’autre. L’audience était là, en progression constante chaque année, Marc Tambourindéguy et Agnès Zimmermann, directrice de l’association Arcad, doivent être encouragés à poursuivre ce bel évènement.

Juste deux petits bémols et qui ne dépendent pas de l’organisation elle-même, la collaboration fantaisiste du bar restaurant du théâtre, impatient de fermer à la fin des concerts et carrément fermé le dimanche après-midi et le comportement irrespectueux de beaucoup de personnes du public, se levant, arrivant, circulant pendant les concerts indifférents aux autres et aux musiciens en train de jouer… Surtout le dimanche

Encore bravo , c’était une très belle édition ; comme d’habitude !

jours 1 et 2

https://angletjazzfestival.fr/

Galerie photos de Philippe Marzat

Paul Lay et Sylvain Luc

Emile Parisien

Roberto Negro vient de s’assommer contre le piano !

Jam aux écuries de Baroja

 

Eddie Dhaini quartet

 

MT4

 

Roger Biwandu Bordeaux quintet